© Tristan Jeanne-Valès

C’est une fable épurée, naïve qu’en apparence, aux tableaux énigmatiques, dont la réussite est de s’en tenir à un minimalisme humide, offrant au spectateur un vaste champ d’images et de sensations qu’on interprétera au gré de ses propres fluides : la pluie est ici un motif que nos humeurs habitent. Invasive, elle dévore les murs et le couple formé par Nel et Dom. L’humidité s’infiltre, ronge sinueusement les murs et le sol ocre; bientôt l’eau ruisselle et déborde, tandis qu’un étranger, Ram, dissimulé dans un tonneau, dévalise le frigo. Le couple « prend l’eau ». Et pourtant Nel, incandescent personnage féminin au corps de callipyge, souveraine dans sa robe blanche, vibre, tremble au simple contact de l’eau sur sa peau. La pluie est un brasier liquide qui enflamme Vénus, qui voudrait s’en enduire, s’y baigner toute entière, bientôt en lutte contre son mari qui chasse l’eau comme le pilleur de provisions. Ram et l’eau sont-ils, sous des apparences différentes, la même déclinaison de l’intrusion ? Sans doute, leurs racines invasives convergeant alors dans la figuration d’un même sentiment: celui du désir de liberté de Nel, d’un appel du dehors ayant jeté ses rets sur elle, venant progressivement fissurer le couple. Peu importe le masque que ce désir de dehors revêt, indéfini sous la forme de l’eau, personnifié sous la forme de l’intrus Ram : il exerce sa fascination sur ce personnage féminin aux accents mythologiques, écrasée par le poids d’une nécessité, fût-elle celle de son propre désir. Dans sa matérialité implacable, la pluie métaphorise avec une élégante poésie ce qui constitue le risque de tout couple : l’horizon extérieur, l’altérité du monde qui viendrait soudain décentrer les amants l’un de l’autre, et rompre, par la force de son appel, le lien. Le texte précipite son héroïne  dans sa propre contradiction, celle de la certitude qui la lie à son désir, celle de l’incertitude quant à ce qu il recouvre. Cette réconciliation impossible est dans aussi dans l’écart entre le corps puissant de l’actrice burkinabé, à la sensualité sculpturale, et la fragilité de son personnage. Plongés dans une torpeur fataliste, Nel et Dom suggèrent la vanité d’aller contre le désir. Dans la pénombre ocre, devant l’irrépressible invasion physique de l’eau sur la scène, bercé par la voix chaude des comédiens burkinabés et congolais, on entendrait presque, comme le grouillement d’une eau qui gronde dans la gouttière, le murmure d’une invitation à l’amor fati : pour triompher de la pluie, il faut lui obéir – entendre, renoncer à étouffer le désir.