Au premier orteil posé à l’aéroport du Caire, le mot “énergie” prend une signification toute particulière. Est-ce la masse humaine présente dès l’arrivée, où chaque personne est affairée à une tâche précise, les fumeurs un peu partout, la musique d’Oum Kalthoum en fond, les sourires des douaniers, les plaisanteries des chauffeurs, les petits passe-droit pour passer plus vite la police aux frontières, ou le tout mis bout à bout dans un rythme effréné ? A l’image de cette capitale, où la majeure partie de la population nationale se concentre, cet aéroport donne le ton du 40e festival du film de la ville, fleuron du cinéma arabe depuis le début du vingtième siècle.
Si depuis la révolution, on a pu constater l’avènement des séries turques rayonnant à travers le monde arabe, le Caire reste un des pôles majeurs des productions cinématographiques de la région. De nouveaux acteurs ont su se frayer un chemin à travers les salles obscures moyen-orientales, comme les fonds cinéma des pays du Golfe, visant à aider les jeunes talents régionaux à être visibles à l’international.
Des productions indépendantes ont ainsi vu le jour et un ton très différent des films populaires habituels se sont fait une place dans le paysage arabe et dans les festivals étrangers, à l’instar de “Clash”, du réalisateur égyptien Mohamed Diab, entièrement filmé dans un fourgon de police au lendemain de la destitution du président Morsi. Le succès critique de “Clash” a valu à Mohamed Diab de siéger au jury de la sélection “Un Certain Regard” aux côtés d’Uma Thurman, Joachim Lafosse et Reda Kateb entre autres durant le festival de Cannes 2017.
Ces nouvelles voix du monde arabe n’intéressent donc pas que leur propre région, et cette 40e édition du festival a clairement prouvé que le monde entier avait les yeux rivés sur cette partie du monde. Si le Moyen-Orient fait la une des médias quotidiennement, l’esprit critique de sa jeunesse, instigatrice de multiples révolutions, s’aiguise à mesure que la situation politique s’y dégrade. C’est donc naturellement que nombres d’acteurs européens et américains ont fait le déplacement cette année pour soutenir des projets régionaux. Producteurs, distributeurs, médias, exploitants, formateurs étaient présents afin de rencontrer les perles du cinéma arabe et d’écouter ce qu’ils avaient à dire. D’autres étaient là afin de partager leur humble expérience lors de masterclass, comme Nicolas Seydoux, le président de Gaumont en personne. Signe d’un vent du sud-est qui soufflera sur nos écrans français prochainement ? Le magnat français a en tous cas rappelé à la foule venue l’écouter que le propre du cinéma restait de partager des émotions ensemble et non chacun de son côté, au contraire des plateformes en ligne.
Plusieurs projets acclamés par la critique cette année ont déjà été coproduits par des Français, comme les films marocains “Sofia” sur la loi obligeant les femmes à épouser leur violeur, ou “Jahilya” d’Hicham Lasri, critique pour le moins crue de la société marocaine dont le premier plan est une femme nue engagée dans un rapport sexuel.
Le radicalisme est également un thème abordé notamment dans le film belgo-tunisien “Fatwa”, mais en écoutant ces voix du monde arabe, on se rend compte que d’autres sujets moins glamour aux yeux du monde occidental occupent les esprits de ses habitants. Ainsi, l’environnement dans le film égyptien “Kilo 64”, les secrets de famille version libanaise dans “Heaven without People”, ou encore la pauvreté sont des thèmes largement abordés dans ce festival. La vie en somme.
Preuve, s’il en faut, que la région MENA (Middle-East, North-Africa) ne se regarde pas le nombril, le cinéma russe était à l’honneur lors de cette édition, avec de jeunes réalisateurs de Russie incarnant la nouvelle vague de ce cinéma unique en son genre. Sans oublier que l’année 2018 est clairement l’année #MeToo, le festival du Caire n’a pas fait l’impasse et a mis en lumière les femmes du cinéma arabe à travers une table ronde de réalisatrices, s’exportant apparemment mieux que leur collègues masculins. Ainsi, la Palestinienne Anne-Marie Jacir (“Wajib”), l’Algérienne Sofia Djama (“Les Bienheureux”) ou la Tunisienne Kouther Ben Hania (“La Belle et la Meute”) étaient présentes pour parler de leur expérience en tant que réalisatrices arabes.
Si l’Egypte semble être prise en étau entre l’armée et les autorités religieuses, les voix qui s’y rejoignent des quatre coins du Moyen-Orient monteront certainement plus haut que la fameuse brume du Caire. Voilà une population panarabe qui, loin d’avoir perdu son entrain et sa foi en l’avenir, promet de grandes et belles heures de cinéma à l’horizon.
Cairo International Film Festival, 20-29 novembre 2018