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Timisoara est l’une des trois capitales européennes de la culture 2023. Le temps des festivités se clôt en beauté avec une rétrospective « Romanian sources and universal perspectives » dédiée à Constantin Brâncuși, sculpteur roumain naturalisé français, rendue possible grâce à la Fondation Art Encounters, le Centre Pompidou, le Musée d’Art de Bucarest et l’Institut Français de Roumanie.

L’exposition commence avec « L’écorché », une œuvre jamais exposée pour souligner l’éducation académique de Brâncuși à Bucarest (elle fut réalisée avec son professeur d’anatomie), avant son évolution vers l’abstraction, avec ses têtes endormies et ses oiseaux stylisés, plus connus du grand public. Grâce à cette exposition, Brâncuși est de retour au pays : on le célèbre, on l’honore, on le sacralise. Le Roumain est arrivé à Paris le 14 juillet 1904, cela ne s’invente pas. Il travaille au Bouillon Chartier pour pouvoir se payer ses premiers bustes. Comme Cioran, Ionesco ou Ghérasim Luca, il a émigré en France, il est aidé par une église de Craiova, par des bourses du ministère des Cultes, ou par ses compatriotes qui lui achètent ses premières œuvres. On lui commande un monument funéraire, il installe devant le buste du défunt une femme nue et implorante, il sectionne le bras gauche : il devient Brâncusi en s’éloignant de la figuration pour sculpter une prière. La tombe est toujours celle de l’avocat défunt, dans l’est de la Roumanie, mais c’est désormais une copie, puisque le Musée National d’Art de Bucarest a acheté l’original.

Si l’exposition révèle des inédits – notamment des photographies d’ateliers issues de la collection étonnante de David Grob -, elle montre aussi des standards de l’artiste. Entre janvier et avril 1907, Brâncuși travaille dans l’atelier de Rodin qu’il finira par quitter sans jamais le renier. Son premier « Baiser » en 1907 (le thème du baiser est sa plus longue série jusqu’en 1945) l’éloigne de Rodin qui avait déjà sculpté deux amoureux qui s’enlacent. Le sculpteur roumain préfère une version plus géométrique où la figuration s’efface au profit de la fusion amoureuse, ici plus d’espace vide entre les deux bouches, seule reste l’étreinte dans son expression la plus fondamentale. Au-delà de la figure, Brâncuși sculpte l’idée. Il renonce au modelage, aborde la technique ancestrale de la taille directe. Quand Rodin arrondit le visage de la femme, Brâncuși laisse une partie du visage non travaillée comme s’il émergeait de la matière. Il élude les traits, simplifie la forme. La baronne Renée Irana Frachone lui commande un buste, il coupe la tête, enlève les traits, pour arriver à un ovale parfait. « Maiastra » conservé à la Tate Gallery de Londres, est un oiseau dont l’histoire magique a été popularisée par le sculpteur. Issu des contes populaires roumains, ce volatile ventru enchante par sa voix et marque celui qui le regarde par son long cou qui ne demande qu’à s’envoler. Brâncuși, fasciné par l’envol, stylise son oiseau ;  les douanes américaines n’y voient qu’une barre de métal et non pas une œuvre d’art : c’est le fameux procès américain pour reconnaître une œuvre moderne. Comment cette tige dorée pourrait-elle être un oiseau ? Il n’y a ni pattes, ni plumes. Le procès est une victoire, on change la loi américaine, la modernité est née, Brâncuși s’affirme comme l’un des plus grands sculpteurs du XXe siècle.

A Târgu Jiu, « l’ensemble monumental » composé de trois œuvres est la seule oeuvre de l’artiste dans l’espace public : « La colonne sans fin » (en réalité 29,33 mètres) au motif  répété devenu iconique, honore les jeunes roumains, morts pendant la Première guerre mondiale, elle se dresse, solitaire au milieu d’un parc, symbole universel qui a lui seul pourrait synthétiser la pensée de l’artiste. A quelques centaines de mètres, « La porte du baiser » (passer dessous protège les amoureux, mais il est interdit de toucher les arches du porche) ouvre la route d’une allée qui se termine par « La table du silence », œuvre que l’artiste offre à son pays « sans se faire payer » nous dira le guide. La légende, qu’il aimait construire lui-même, raconte qu’il traversa l’Europe à pied, de son village à Paris, avec Timisoara 2023, et la rétrospective qui lui est consacrée, comme avec « L’ensemble monumental » de Târgu Jiu, la légende de Brâncuși est aussi de retour au pays.