On n’aura jamais autant entendu parler du « genre » que lors de ces quelques derniers mois. Ce tsunami dans le débat public exploite le terme comme un immense fourre-tout, tout à la fois boursouflé de certitudes et émaillé de ce qui semble être d’inextricables zones grises. Droits des femmes, droits des minorités sexuelles, droits des personnes transsexuelles. Identité « binaire » ou « fluide ». Rose pétaradant ou bien drapeau de l’arc-en-ciel. La vieille recette des goûts et des couleurs rejaillit dans un flot incessant de catégories anciennes ou nouvelles à propos du sexe, de la sexualité et du genre. Car, au fond, chacun semble avoir une idée bien à lui de ce que tout cela veut dire. En affichant le « genre » comme thème de cette 72e édition du Festival d’Avignon, impossible de faire moins actuel, moins politique. Et pourtant.
Et pourtant, ne serait-ce pas sacrifier le festival à l’effet d’une mode ? Si l’on entend par « genre » la « performativité » de l’être, l’art ne s’est-il pas exprimé maintes fois à ce propos déjà ? C’est précisément parce que le « genre » s’inscrit dans un réseau de signes « en acte » qu’il est, qu’il peut être ; et, à ce titre, le théâtre en a toujours été le médium privilégié. Il est l’espace d’expression quasi sacré de la transformation des corps, du trouble dans les identités sexuelles et de la confusion des caractéristiques et des valeurs qui y sont liées. Alors qu’apporte l’angle du « genre » ? Reste un versant plus ouvertement social, conçu autour de grands thèmes sans cesse débattus, comme celui de la maternité (« Grito Pelao ») ou encore de la perception du genre en société (« Saison sèche ») et de la condition des personnes transsexuelles (« TRANS (més enllà) »). Mais l’approche revendiquée laisse peu de place à une critique radicale de l’objet. Brosserait-on une idéologie libérale du « genre » dans le sens du poil ?
La réalité géopolitique des questions liées au sexe et au genre démontre à quel point le sujet est délicat mais aussi vital. De la Corée à l’Amérique du Sud, en passant par les échanges houleux en Angleterre de ces derniers mois (voire années), la parole publique ressasse une confusion générale autour des enjeux liés au corps biologique et à ses lectures sociales, politiques et culturelles. L’agora avignonnaise créée par David Bobée (« Mesdames, Messieurs et le reste du monde ») réussira-t-elle à s’emparer du sujet dans toute sa complexité sans tomber dans le piège d’un discours consensuel ? Il ne suffit pas d’amonceler les textes pour faire émerger une pensée critique et, finalement, réellement instructive. L’art est en lui-même un biais qui s’accommode souvent peu des choses techniques et matérielles, pourtant nécessaires pour poser à plat la question tout entière. Choisira-t-on l’écueil de la facilité, annihilant sur l’autel du politiquement correct et de l’opportunisme les forces contradictoires qui s’affrontent actuellement de par le monde ?
Face à la programmation officielle, celle du OFF offre quelques débuts de réponse. Peu de pépites échappent au ballet des mauvaises bonnes intentions. Les stéréotypes ne se sont jamais mieux portés, donnant naissance à une farandole de titres salaces peu ragoûtants. En fin de compte, rien n’est plus difficile que de remettre en question les choses que l’on croyait établies, affirmait Bernanos. L’art, jouant explicitement avec les frontières du réel, sera-t-il notre planche de salut ou enfoncera-t-il un dernier clou dans le cercueil de notre bien-pensance postmoderne ? Rendez-vous à la fin du mois.