Mère courage version Grumberg

Moman

@ Thomas O’Brien

C’est l’attelage de la tendresse dans un décor de rien. Hervé Pierre et Clotilde Mollet s’approprient les mots de Jean-Claude Grumberg qui à eux seuls font théâtre. Ce langage tordu, fêlé, patiné d’enfance blessée se déploie dans un univers contraint, un abri domestique pour une mère et son fils qui ensemble regardent le monde et tentent d’y faire face. Le dramaturge construit sa pièce comme une série de saynètes qui toutes commencent par la même phrase : « Mais pourquoi Moman ? » et qui donnent lieu à des conversations tantôt caustiques, tantôt tristes, quand elles ne sont pas carrément bouleversantes. À l’innocence insistante, « Mais pourquoi, Moman, les méchants sont méchants ? », la mère répond comme elle peut – avec ses armes rhétoriques dérisoires, l’amour pour son fils et un bon sens populaire. Mais ne nous méprenons pas, derrière cette litanie enfantine, affleurent les obsessions de l’auteur : le traumatisme de la Shoah, la guerre, la mort, l’inquiétude du passé et le doute sur l’avenir. Hervé Pierre, longtemps pensionnaire de la Comédie-Française, campe cette mère courage sans jouer à l’excès sur le genre, et Clotilde Mollet en culotte courte prend sur ses épaules les montagnes d’inquiétude du petit Louistiti. Ce n’est pas dans la mise en scène – classique voire poussiéreuse – qu’il faut chercher du théâtre, mais dans l’élégance rieuse des acteurs qui déclarent leur amour de la poésie de Jean-Claude Grumberg.