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Les pièces d’après-guerre intéressent visiblement beaucoup Emmanuel Demarcy-Mota qui, après « L’État de siège » ou « Rhinocéros », s’attaque à une allégorie on ne peut plus frontale de la démagification du monde. Réussissant, comme à son habitude, à extraire les textes du répertoire de leurs anecdotes psychologiques pour les tirer vers une noirceur rétive à tout réalisme et complice du cauchemar, le directeur du Théâtre de la Ville propose une relecture bienvenue du texte bien rance d’Eduardo de Filippo. D’abord parce qu’il réussit à affranchir le personnage d’Otto, illusionniste ringard, au troisième œil presbyte, de son caractère cartoonesque de dupeur pervers (Serge Maggiani compose effectivement un précaire cafardeux, revitalisé et entraîné lui-même dans le jeu vertigineux qu’il initie). Ensuite parce que, en dégenrant le rôle de Calogero (ici « Calogera »), Demarcy-Mota atténue (sans parvenir à la bannir complètement) la moite misogynie de cette « Grande Magie. » La pièce se trouve alors libérée de son cœur sitcomesque : le couple d’amants (enfin réunis grâce au sarcophage double-fond d’Otto) devient périphérique dramaturgiquement, permettant à la boîte noire d’être le pur réceptacle des mondes multiples et gigognes sécrétées par l’hermétique coffret d’or. Dommage que cette rénovation dramaturgique soit freinée par la mécanique grossière de la mise en scène, où les gimmicks demarcy-motiens (visages blafards, corps obombrés, tournettes, projections vidéo bien gourmandes) demeurent des signes inopérants de théâtralité et de métaphysique. « Les illusionnistes n’intéressent plus personne » : le premier acte avait pourtant prévenu.