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En cette fin du mois d’octobre, la bruine presque permanente qui tombe sur Bergen est une invitation à se réfugier dans les théâtres, studios de danse, galeries, autant de lieux que le festival Oktoberdans, 22e édition, investit pour y faire éclore des performances minimalistes, où l’on a vu des danseurs se fondre dans un bain d’or, lutter avec les restes – bâches, pierres esseulées – d’une apocalypse proche, dialoguer avec des ectoplasmes lumineux et des murènes de ferraille.

Est-ce notre romantisme climatique qui nous faisait apparenter la deuxième ville de Norvège à l’un de ces cachots humides aux ciels bas et lourds, où le dehors maussade décuple le souffle créatif de ceux qui s’y trouvent ? L’édition était chargée d’une émotion particulière : Oktoberdans rendait hommage à son bien-aimé fondateur et directeur artistique, Sven Age Birkeland, disparu cet été. Souvent animées par de lancinantes bandes sonores et des effets lumineux stroboscopiques, les performances partageaient un certain sens de l’épure. A l’image de “Unimages” de Florin Fueras qui, au cœur d’un White Cube, composait un alphabet de mouvements interstitiels, capturés entre deux gestes utilitaires: des gestes sous les gestes – ceux que l’on ne fait pas, ceux que l’on retient, ceux qui dévient, qu’on aperçoit même pas. Des gestes possibles, déraillements virtuels dépourvus de sens, impropres dans l’espace public, pour qui ils étaient à l’origine destiné (la performance a eu lieu dans des avions, supermarchés, places urbaines), que l’artiste restituait ici ; positions bizarres, rictus un peu trop long, corps anormalement tordu, à mi-chemin entre “Walking Dead” et un film animalier visionné au ralenti. C’est drôle et absurde, d’une nudité et d’une simplicité inquiétante. Même geste de compilation/détournement chez Mirte Bogaerts dans “REtransLATE”. De façon plus attendue, des danseurs y épuisent le mouvement jusqu’à son point de vacillement. La consistance du spectacle tient surtout à sa séquence musicale, dirigée par un looper et ses boucles insistantes, ainsi qu’à sa séquence visuelle, jeu de miroir et de lumière où apparaissent d’étranges méduses fantomatiques rétroéclairées.

Par une troublante contiguïté, deux spectacles semblaient avoir été écrits sur la base du même scénario, mais produisaient un effet opposé. Si l’on n’a pas du tout compris l’univers (violet) de Rosalind Goldberg, probablement celui d’une fillette solitaire entrant en turbulence dans sa chambre d’enfant (sur Mars), on s’est laissé séduire et éblouir par la danseuse Nuria Guiu dans “Médium”, où son allure de chrysalide cyborg albinos, évoluant dans un univers de bâche à ordure et de planète morte, évoquait les derniers jours d’une survivante en monde déserté. Alternant danses vernaculaires et gestes singuliers, réinterprétant l’un par l’autre, la danseuse compose, dans un solo puissant, un requiem pour les derniers mouvements de l’humanité. Plus narratif, le spectacle du trio Rodriguez/Monnier/La Ribot, “Please Please Please” évoquait l’art des transmissions toujours lacunaires, le passage d’une génération à l’autre. Sans grande certitude quant à ce que raconte le spectacle, sa séduisante atmosphère tient toutefois à la simplicité de ses moyens, à un propos s’assumant comme diffus et éclaté et, surtout, à la présence et à la complicité de ses deux belles comédiennes/danseuses que sont Mathilde Monnier et La Ribot, dans leurs costumes lamés. Elles n’ont pas vingt ans et c’est une joie de les voir empoigner la scène sans que, précisément, leur âge ne soit un sujet. On voudrait ne même pas avoir souligner qu’on aime ce spectacle aussi pour ces raisons là – cette manière de faire exister sur scène les femmes et leurs années, sans volonté démonstrative. Sur le plateau nu, la présence d’un animal de ferraille toute en délicatesse occupe l’espace de sa masse translucide et pacifique : d’un œil distrait, il semble le témoin de l’agitation des hommes, de leurs tentative, depuis les premiers mots d’un bébé sans langage, et malgré les explosions qui défont le monde, de le recomposer par les récits qu’on en fait.