David Léon : Lettre à un lieu

Très cher Norbert. Non mais je n’y crois pas ! Mais j’hallucine ! Qu’est­-ce que m’apprend Monique c’matin ? Ils t’ont sucré rien tant que la moitié des subventions ! Mais à ce compte-là tu ne pourras JAMAIS monter ma pièce ! À moins de n’plus payer la troupe pour les répétitions, sans mêm’êtr’ sûr d’y arriver ! Tout l’reste du budget passerait alors dans les décors, c’est ridicule. Qu’ils ferment le TMT à Marjevols, je peux l’entendre, cette politique vers les terroirs ça n’a jamais tellement porté ses fruits, mais se désengager d’un CDN ! Et dans le Limousin­-Poitou­-Charentes ! Une si belle région ! Du jamais­vu ! D’autant qu’tu viens à peine de prendre la direction ! Mais merde alors ! Et meeeerde ! Fort heureusement qu’tu n’as pas tout dilapidé dans les frais de com’ et d’habillage du CDN (tu sais, c’qu’ils ont tous fait un peu partout). (À c’qu’il paraît Robert a fait taguer par le(s) public(s) les murs des chiottes de son théâtre dans le Vaucluse ! Le truc SUPER REBELLE, tu vois). J’en reste bouche ­bée. Tu avais fait un tel effort pour cette première programmation : la parité parfaite ! Ce jeu subtil et audacieux entre nos écritures contemporaines et nos classiques ! Et enfin un Othello joué par un Noir ! Ça n’est tout de même pas rien, ils ne peuvent pas griller comme ça une ou deux lignes sur un putain d’tableau Excel, c’est effarant ! Ces fonctionnaires ne mesurent pas l’travail de ouf que j’ai mené depuis trois ans, pour te la pondre, cette pièce géniale et radicale ! On va devoir revenir à un solo, Norbert ? Avec une tête d’affiche ? Je n’vois que c’la, très cher Norbert. Mathilde Seigner ? Elle a la niaque, je crois ! Et quelque chose d’un tantinet bourgeois que j’trouve pas mal, ce truc très aristocratique, tu vois, qui donne envie de la salir. Mais peut-­être qu’tu préfér’as Sylvie Testud ? Ou Kiberlain ? Je vais y réfléchir. Comment réduire la pièce à un solo ? (Ça pourrait même être culotté !) Tu me diras. Je t’embrasse fort, très cher Norbert. On lâche rien, Norbert, hein !