On raconte que la Lituanie (étymologiquement « pays de la pluie ») apparut pour la première fois sous la plume d’un moine en l’an 1009. Cette terre, qui fut l’un des derniers territoires païens en Europe, navigua, au cours de son histoire, entre les conquêtes polonaises, russes, nazies, et soviétiques, jusqu’à ce que le pays acquiert son indépendance en 1990, dans la foulée de la chute de l’Union soviétique, omniprésente dans la mémoire collective. Le pays entre alors dans l’Europe (et dans l’Otan) en 2004, quelques photos documentent cet acte politique majeur sur la place enneigée de l’Hôtel de Ville. A l’occasion du 700ème anniversaire de la naissance de Vilnius (qui signifie « petite vague »), c’était l’occasion de découvrir cette capitale passionnante au nord de l’Europe.

Vilnius et ses 700 bougies

La Lituanie est un pays d’arbres, de forêts et de nature jusqu’à la mer Baltique. Vilnius (un demi-million d’habitants) s’est octroyée une tradition, qui s’était répandue, comme une fête populaire, dans tout le pays : habiller le sapin de Noël de la façon la plus belle qui soit. Sur la place centrale, une foule nombreuse s’est pressée pour assister à l’événement. Dans la ferveur, et sous la neige qui tombe, le public attend, avec un concert retransmis en direct à la télévision, l’illumination de l’arbre de Noël, et de ses 700 bougies, pour saluer l’anniversaire de la naissance de la ville. Avec ses monastères jésuites qui rappellent les missions chrétiennes (l’église ne sera acceptée qu’en 1387 sur ces terres païennes), Vilnius charrie les influences du passé au sein de sa population, composée aussi de 15 % de polonais et 15 % de russes. Ils étaient plus nombreux pendant la période communiste, puisque les lois contre la propriété privée, provoquèrent un important exode rural vers la capitale. Il faut dire que l’influence soviétique est omniprésente dans la mémoire. C’est d’ailleurs une question éminemment politique pour la Lituanie : que faire du passé soviétique ? Faut-il le rendre invisible pour l’oublier ? Ou le souligner pour le dépasser ? Dans le musée privée (MMO), l’exposition propose, de façon pédagogique et efficace, une revisite de la guerre froide sur les cimaises : des oeuvres de l’Est, interdites pendant le régime communiste (le réalisme soviétique considérait comme dégénérées les œuvres abstraites), et les oeuvres de l’Ouest de Richter, Beuys, Pistoletto, ou Warhol, que les lituaniens peuvent découvrir depuis peu. D’une autre façon, la question s’est posée pour l’ancienne prison. Que faire du passé pour se projeter dans l’avenir ? Pour l’instant, elle se visite comme un vestige, une attraction touristique qui peut étonner et dérouter. D’ailleurs, la ville cherche à préserver son histoire carcérale (le bâtiment, les barbelés, les portes blindées, les cellules) tout en la transformant en un lieu de résidence pour près de trois cent artistes.

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Mekas, Stendhal et Gary

La Lituanie fut longtemps un pays d’émigration, et Jonas Mekas, cinéaste expérimental lituanien, quitte son pays natal pour les USA. Aujourd’hui, une galerie porte son nom, dans le quartier Uzupis connu pour accueillir La République des artistes, petit Etat avec ses squats, sa constitution, son drapeau, et son tampon pour marquer votre passeport et votre passage. Ce qui est le plus frappant, au-delà des paroles du maire, sur la fierté du bien-être économique, ou sur la solidarité de sa population (on peut donner de l’argent pour l’Ukraine pour les fêtes), c’est à quel point la guerre est ici une histoire intime, avant d’être une affaire politique. Le maire de Vilnius s’étonna de nos réactions espagnoles, italiennes, ou françaises, quand on lui posa quelques questions sur l’Ukraine : « Nous n’avons pas eu besoin de la Guerre pour connaître les intentions de la Russie. Nous sommes clairement du côté de l’Ukraine. ». Tout nous rappelle à quel point Vilnius est aussi le cœur de l’Europe : des églises chrétiennes, de l’architecture baroque, des restaurants italiens, des rues qui rappellent la Pologne (Gdansk n’est pas loin), un quartier juif, un parc appelé le « French park », derrière la maison où Stendhal passa une nuit, la seule au monde à l’effigie de Romain Gary (dont la mère était lituanienne), et le souvenir du passage de Napoléon avec son armée, pendant la campagne de Russie, tout est fait (jusqu’à notre invitation) pour nous rappeler que les Lituaniens ne sont plus les habitants d’un pays opprimé par ses ogres de voisins, mais des Européens, qui vivent dans une liberté récente, chère et conquise, à laquelle nous nous sommes, peut-être, habitués, comme des enfants gâtés, jusqu’à l’oublier parfois. Il y a mille et une raisons de déplorer la standardisation du monde, dont les rues piétonnes se ressemblent, d’un bout à l’autre de la planète, comme des gouttes d’eau, mais il existe parfois des moments, où les différences font briller davantage ce qui les réunit que ce qui les sépare. Vilnius est belle comme le bout de l’Europe, mais c’est aussi dans ses marges que brille le plus intensément l’idée européenne.

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