© Marie-Andrée Lemire

La comédienne Dominique Leclerc s’est lancée en 2013 dans une recherche particulièrement vertigineuse. Diabétique (comme près de 10% des Canadiens), elle souhaitait simplement trouver une solution aussi ingénieuse et minimaliste que son smartphone dernière génération pour remplacer son glucomètre tout droit sorti des années 80 et ainsi lui faciliter la vie quotidienne et alléger les dépenses de santé de l’Etat. Quatre ans plus tard, elle nous livre son enquête et toutes ses questions.

Pour cela, elle s’est entourée sur scène de l’artiste-codeuse Push 1 Stop (Cadie Desbiens pour les intimes), du journaliste allemand Dennis Kastrup et du génial comédien Didier Lucien, et s’est alliée à Edith Patenaude et Patrice Charbonneau-Brunelle pour concevoir la mise au plateau de son épopée dans le monde souterrain des cyborgs et autres biohackers. Une équipe de choc qui a peaufiné son projet dans les moindre détails pour nous emporter dans un voyage inattendu vers un monde parallèle qui nous était jusqu’alors inconnu. La folle histoire commence par une simple recherche internet qui permet à Dominique de découvrir la lentille de contact connectée actuellement développée par Google, capable de mesurer l’indice glycémique des personnes diabétiques. Fantastique ! Un peu de patience et la solution tant attendue sera à portée d’œil ! Oui mais, Dominique est-elle prête à livrer ses données biologiques à l’une des plus puissantes multinationales au monde ? L’esprit malin du capitaliste semble se cacher derrière la moindre innovation, si nécessaire soit-elle à notre santé, voire à notre survie. Elle décide donc de partir à la recherche d’alternatives à la moralité moins douteuse et pénètre plus profond dans la mystérieuse dimension du transhumanisme. Cette théorie, parfois érigée en religion, part du principe que l’homme ne doit pas se limiter à sa nature faillible et mortelle et qu’il peut et doit trouver le moyen de s’affranchir de la souffrance physique, de la maladie et même de la mort. L’homme ne serait donc pas un être fini en pleine possession de ses capacités : modifier notre corps grâce à la machine ne serait plus une aliénation mais une augmentation, une amélioration, une étape logique dans l’évolution humaine.

© Marie-Andrée Lemire

Dominique a ouvert la porte d’un monde où l’homo technologicus se prend tout simplement pour Dieu et où la médecine curative dépasse les limites qui lui étaient auparavant assignées. Les questions se bousculent dans sa tête et sur scène dans un enchaînement dramaturgique très finement construit qui saisit notre attention pour ne plus la lâcher. A la recherche scientifique et aux questions métaphysiques vient se coupler l’histoire personnelle de l’auteure qui, fictionnelle ou non, donne du concret et de la chair aux discours chargés d’ondes wi-fi. Le spectateur est sans arrêt rappelé à sa condition de mortel, interpellé par des interrogations purement et fondamentalement pragmatiques. Si nous avons (presque) tous de solides réticences à modifier notre propre corps, ne serions-nous pas prêts à céder aux sirènes des innovations biotechnologiques face à la souffrance et plus encore à la mort de ceux que nous aimons ? Cryogénisation, implants nanotechnologiques et upload de cerveau entrent soudain dans notre réalité.

Plongés dans le noir infini avec les quatre pilotes de ce vaisseau spatio-temporel ; de Montréal à Berlin en passant par la Silicon Valley, des années 70 à 2030, nous voilà invités à réfléchir. Sans jamais nous dicter quoi penser, avec une bienveillance et une ouverture d’esprit sans bornes, “Post Humains” offre une plongée, parfois inquiétante, parfois hilarante, dans un futur pas si lointain où les fantasmes de science-fiction prennent vie. Si la parole est documentaire, ce qui se joue entre la scène et la salle, l’énergie partagée dont se nourrissent les interprètes et qui éveille le public fait le théâtre. Et cette rencontre, assurément humaine, ne pourra jamais être remplacée par de quelconques ondes électromagnétiques.