© Marie Charbonnier

« La matière du spectacle est totalement imaginaire et généralement non photographiable » estimait Claude Régy à propos d’un certain théâtre optique. Mais dans le nouveau dispositif oculaire qu’élabore Camille Dagen avec la scénographe Emma Depoid, l’irreprésentable advient précisément parce qu’il est photographiable, la boîte noire du théâtre se confondant, le temps d’une expérience rigoureusement chronométrée, avec la cuve opaque d’un révélateur. Les deux comédiens, Thomas Mardell et Hélène Morelli, commencent par instaurer un long protocole aussi technique qu’anecdotique, qui nous renseigne autant sur leur culture en cinéma catastrophe que sur les bas-fonds antiques du théâtre de Tours. Cet énième outrage au public, qui ne fait exister rien d’autre que l’espace scénique lui-même et les corps en présence, un « ici et maintenant » maintes fois convoité par la scène post-dramatique, verbalise très sérieusement sa convention essentielle : « nous ne sommes pas là pour faire ressusciter les morts. » 

Et pourtant, lorsque la séparation glaciale de Rose et Jack, amants du Titanic (ranimés par cette fameuse mélopée populaire que l’un des interprètes « aime bien »), accompagne en négatif le slow pailleté d’un couple éphémère, on comprend que ce cadre mesuré à la craie ne sera qu’un seuil de perception, un outillage nostalgique rêvant de pétrifier la perte. Par des résidus raciniens, le spectre du désespoir amoureux vient alors se ficher dans l’objectif, et c’est par la dissociation des corps et des voix, par le battement hasardeux des projecteurs que l’icône scénique, vague et fondante, retrouve une irrégularité salvatrice. Nul doute que les magnifiques expériences de Camille Dagen et de son collectif, Animal Architecte, où l’immanence humoristique d’un « théâtre du présenter » côtoie les lubies métaphysiques de la scène moderniste, constituent bien plus qu’une émergence opportune. Elles augurent l’avènement d’un nouveau théâtre de l’image, aussi performatif que définitif, dont les cristaux d’argent s’atomisent encore en nous, par-delà toute séparation.