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A travers l’obscurité, on distingue le mobilier d’un « Lokal » des années 90, on est à Zurich. Les protagonistes prennent place dans ce qui est, de jour, le café Chez Jakob et le bar Small g la nuit. Quand, de manière bien calculée, leur jeu s’ouvre, on comprend que tout concorde et annonce une fin harmonieusement agencée, parfaitement ajustée par la mise en scène à son public. Le suspense s’éteint. Comme les acteurs sont convaincants, au rendez-vous de la légèreté, de la vitalité, on consent à se laisser prendre par la main. A l’origine, le meurtre sordide du jeune Peter par deux voyous toxicomanes dans une rue du Niederdorf. Comme il est gay, la presse rapporte qu’il est mort dans l’appartement de Rickie son amant : dégueulasse !

C’est que “Small g”, le roman de Patricia Highsmith, mis en scène par Anne Bisang, se déroule dans l’underground ; une idylle comme un hymne à la tolérance et à la reconnaissance de la différence. Rickie le quadra ne peut oublier Peter, tout comme la jeune Luisa qui en était amoureuse. Luisa, qui a fui ses parents, se retrouve sous la coupe de sa patronne d’apprentissage qui sadiquement la rabaisse et la contrôle. La sorcière homophobe s’acharne sur la Cosette des temps modernes. A la fin, elle meurt, Luisa hérite de ses millions. Et chacun se trouve heureux en amour et comblé au lit : Rickie avec Freddie, le gentil policier ; Luisa avec Dorrie et Teddie le « Golden Boy », le préféré de Rickie. Dans une ambiance entre chien et loup où le désir est enfant de bohème, “Small g” module pulsions et aspirations au bonheur pour triompher de la morale plombante. Pris dans un carambolage joyeux des désirs et des corps rythmé par une fraternité friendly qui conspire dans la « famille de cœur », on en oublie un peu vite le contexte violent de la scène ouverte de la drogue qui obligeait une foule de désespérés à l’extrême précarité. Bisang se tient loin de Zurich la sulfureuse, foyer des plus marquants mouvements sociaux et féministes en Suisse.