Poupées mécaniques

Brother

(c) José Caldeira

Tic-tac. Le temps ne s’arrête pas. Dans « Brother », de Marco da Silva Ferreira, on contemple un danseur-marionnette orchestré par ses propres fils ; des interprètes qui dansent sur un mode systématique au son d’une musique-horloge, avec des mouvements concertés, prévisibles comme ceux d’une machine – évocation de l’immaturité de Pinocchio, souvenir de Geppetto, le charpentier, dont les horloges mécaniques sonnent sans s’arrêter, même pendant la nuit quand les autres sons s’amenuisent –, puis, en cadence, effectuent des mouvements désordonnés et divers.

Ce sont là les premiers instants qui procurent une sensation de parenté : Brother est au commencement celui qui imite et cherche des systèmes, qui, maladroit et puéril, tente d’égaler le frère-modèle. Une succession de jeux de pouvoir, comme si chaque interprète, avec son vocabulaire propre, luttait pour commander ou se laissait diriger, séduit par le mouvement du plus fort. Une suite de convergences et de divergences irrégulières et apparemment improvisées, qui cohabitent avec la constance du tic-tac du système musical.

Soudain la lumière s’évanouit et la musique change. Survient un scénario d’une plus grande maturité, où les danseurs assument une énergie sexuelle destructrice. Leur danse pourrait faire penser à une dionysiaque féroce, mais cette image est vite remplacée par une autre – celle des battles de rap ou des rites tribaux de passage à l’âge adulte, ou même des combats lors de l’accouplement de certains animaux, où l’excitation s’allie à la violence. Au son d’une musique qui mêle les tambours des rythmes tribaux à la musique électronique et aux voix d’un chant épique, les interprètes prennent en charge les trois vocabulaires, indépendants les uns des autres. Ainsi progresse la maturation du frère et de Brother, la découverte du cercle et du rituel et du pouvoir de l’affrontement ; ainsi se cherche ce qu’il y a d’animal et de primitif en l’homme, et sont évoquées les rues et ceux qui les vivent.

Une fois de plus la musique est modifiée, devient amorphe et changeante. Les silhouettes des deux danseuses (Cristina Planas Leitão et Anaísa Lopes) se découpent dans la pénombre du plateau et prennent part à la difformité – ce sont les freaks de la ville nocturne, l’opposé de l’idéal occidental d’harmonie, et c’est ce qui les rend puissantes, créant une esthétique du mouvement et de l’image particulièrement insolite, qui impressionne. Elles sont la concrétisation du rituel qui a eu lieu précédemment. D’autres danseurs les rejoignent, et le scénario de multiplicité se complète, devient complexe. Alors le rythme s’accélère, des orbites apparaissent au sein d’une orbite principale ; pouvoir en quête de pouvoir ; cercles dans des cercles ; l’imitateur qui sans cesse se transforme en la chose imitée. Ce qui surgit de ces corps n’est pas démocratique, c’est la loi de la croissance et du dépassement qui règne, et l’idée d’expérience, de tentative, d’erreur.

C’est ainsi que « Brother » démontre comment les techniques propres à chaque danseur et leur virtuosité peuvent se plier et se rehausser en une hiérarchie fraternelle, comme on peut aimer le canon et chercher à établir une nouvelle norme. Comme on peut, à un moment, être Dieu, comme le fut Max Makowski, un Arès, père d’Éros, et juste après un animal vulnérable, mortel, pris dans un autre système de pouvoir, en quête d’exemples et de protection.

(Traduit du portugais par Pénélope Patrix)