© Christophe Raynaud de Lage

Peu de formes théâtrales – hormis peut-être le « By Heart » de Tiago Rodrigues – donnent encore à voir Shakespeare comme un poète. La plupart des mises en scène actuelles capitalisent en effet sur ses intrigues, sur un plaisir fictionnel à haute vertu populaire qui a tendance à rationaliser sa langue et ses fables. Les meurtres et les manigances ne sont chez le dramaturge que la face immergée d’une métaphysique foudroyante, métaphysique dont le « Macbeth » de Silvia Costa se saisit magnifiquement.

Il n’est pas étonnant que l’appétence symboliste de Silvia Costa l’ait conduite vers cette pièce dont l’énigme n’a jamais été aussi bien préservée. L’impression rare d’avoir retraversé une œuvre connue par cœur dans un état d’inconnaissance ne nous a pas lâché. Et pour cause, l’ambition première de Silvia Costa semble être de débarrasser « Macbeth » de son substrat psychologique et historique pour mieux se laisser déborder par ses enjeux les plus vastes. Contenue dans le discours chaotique des sorcières sur la réversibilité des contraires (sorcières invisibles dont la parole devient ici une matière enveloppante), ou dans la suggestion constante d’un monde indigérable et inhabitable, en pleine crise de signification, la métaphysique trop de fois assourdie de cette pièce, souvent poétisée et reléguée au second plan du parcours criminel, redevient ici l’épicentre intranquillisant du spectacle.

L’autonomie plastique donnée aux premières scènes distord la dynamique du drame : chaque séquence semble devenir un poème ayant une densité propre, une énigme et un geste performatif – le premier discours picturalisé de Lady Macbeth a par exemple l’énergie d’un fouet, tandis que la première parole horrifiée du Macbeth assassin est transcendée par la vie d’un visage qui circule fiévreusement entre sang et eau. Sans doute peut-on regretter que quelques intuitions visuelles – comme l’ultime image des barreaux métalliques plus opératique qu’organique – aient été conservées capricieusement, sans rencontrer véritablement le plateau. Cette picturalité momentanée n’altère pas la radicalité et la maturité du geste : Silvia Costa parvient à intégrer ici – cet idéal ne nous semblait pas encore atteint dans ses précédentes créations – ses fantasmes symbolistes dans un théâtre d’âme pénétrable par tous.te.s. L’indétermination de chaque signe, la suspension de chaque moment n’a en effet rien de formel et de cryptique puisqu’elles s’allient à la quête irrésolue et mystérieuse du couple légendaire – le moment d’attente muette des deux corps sur le seuil souillé du château est à ce titre l’un des plus forts du spectacle. « Macbeth » devient alors un cauchemar irréductible, aussi inactuel que contemporain. Car ce monde devenu nuit sans fin, nuit dans laquelle il devient rassurant pour les Macbeth de s’enliser avant le jugement sans appel du jour, n’est pas sans regarder le nôtre.