© Walter Bickman

Elle a chahuté les festivals d’avant-garde européens mais n’a pas encore bien atteint la France (hormis quelques apparitions à Montpellier, Nanterre et déjà à la Villette). Florentina Holtzinger présentait fugacement en décembre dernier une œuvre datant de 2019, “Tanz“, “pièce“ de danse autant que de boucher. 

“Tanz“ peut faire déjà son âge tant sa parodisation critique des ballets classiques et romantiques n’a rien de très neuf. Holtzinger passe par certaines images dialectiques usitées et attendues : une grâce des corps qui pointe en même temps leur souffrance, une érotisation destituée par la nudité brute et singularisée des danseuses, un kitsch sur-rejoué, une discipline épinglée. Mais aussi par une performance inouïe et littéralement écorchante que ces lignes ne divulgueront pas – une œuvre performative n’étant pas réductible à des faits sensationnels qui la racontent en fait très peu et dont la critique fait trop souvent son miel. Le spectacle met toutefois sa charge politique au chaudron : c’est ici l’incongruïté des visions, où motos volantes et capilotractages se répondent, qui l’emporte sur les discours. Délibérément feminispunk (cf Christine Aventin), “Tanz“ ne profite toutefois pas assez du pôle d’authenticité et d’intériorité offert par Beatrice Cordua, danseuse âgée dont on se dit que Jérôme Bel aurait fait une présence bien plus émouvante et agissante. 

Plus politique par son indiscipline visuelle, ne craignant jamais la laideur, que par son paradigme dramaturgique butlerien trop éprouvé  (re-performer la vieille imagerie pour mieux la déjouer), “Tanz“ vaut surtout pour le mauvais sort qu’elle réserve à la performance elle-même. De fait, il aurait paru contradictoire qu’un spectacle désignant l’aliénation des corps au nom de la beauté ne regarde pas lui-même la violence intrinsèque de l’acte performatif, qu’on dit toujours fait en pleine conscience, mais dont des spectacles récents (comme « L’amour de l’art » de Stéphanie Aflalo) ont pointé l’intégrité relative, la nécessité dégradée, le devenir image. Chez Holtzinger, les actes réels sont mis sur le même plan que les trucages illusionnistes (comme cet empalement à l’épée, qui suscite dans le public quasi la même frayeur que les violences réelles) et la performance se réceptionne alors hors du pacte de sincérité et hors de l’insécurité sensationnaliste dont elle joue souvent. Elle devient pur spectacle, parfois gag, car toutes les images chez Holtzinger sont constamment relativisées, jamais hiérarchisées pour leur lot de virtuosité (tout le contraire du ballet). N’allons pas dire que l’artiste vise plus de peur que de mal, mais remarquons que chaque vraie prise de risque revient à une professionnelle dont on perçoit la maîtrise. Une nouvelle éthique de la performance, plus circasienne que viscérale et édifiante, se livre ainsi dans “Tanz“. Gageons ainsi que les recherches récentes de Florentina Holtzinger nous parviendront bien plus vite.