Sur scène, une heure de paradoxe que seul l’art vivant peut provoquer : l’intime devient le vecteur de l’universalité, l’exposition du privé celui d’une expérience publique partagée.
En racontant, avec humour, sincérité et simplicité, la maladie de sa mère, sa mort puis la rencontre ardue avec le deuil, Mohamed El Khatib délivre un spectacle-témoignage qui bouleverse ou dérange. Il faut être sensible au partage de l’intimité pour entrer en connivence ou en réflexion : le départ définitif de la mère est un thème tabou. Certains seront trop bousculés par l’exposition documentée de la vie de la défunte ou de la famille de l’artiste : El Khatib, en effet, a recueilli vidéos, photographies, enregistrements, notes de carnet où la mort et le chagrin s’exposent sans filtre. À titre d’exemple, la distribution au public de l’acte de décès de sa mère par l’artiste lui-même a de quoi mettre en retrait quelques spectateurs.
Il y a forcément un certain voyeurisme pénible pour qui serait empêché par ses propres limites – et nul ne peut lui en faire le procès –, bien qu’El Khatib instille une distance bienvenue. Pour les autres, son histoire fera écho, ou sa démarche fera sens au regard de leur sens humain. Il s’adresse au public, partage avec lui l’expérience comme un dialogue d’amis, brisant ainsi l’image d’une représentation froide et démonstrative. Il use surtout de l’anecdote. C’est là que se trouve la clé de la sensibilité que dégage cette pièce : en livrant le quotidien et le trivial, voire l’insignifiant, il renvoie au public la banalité d’une histoire tristement universelle.
Dans l’autre colonne, Gladscope évoquait Mouawad. La démarche de ce dernier, même si elle part aussi de l’expérience intime, semble toutefois s’ouvrir davantage aux autres. C’est de Sophie Calle que la démarche d’El Khatib se rapproche peut-être plus : un intime livré aux autres ; à eux de faire la démarche de s’approprier l’expérience.