Ready-made sportif

Aurora

(c) Alessandro Sciarroni

(c) Alessandro Sciarroni

Familier des scénographies hyper réalistes, Sciarroni pousse ici le ready-made jusqu’à son extrémité radicale. Après la danse bavaroise et le jonglage, « Aurora » se penche sur le goalball, une discipline paralympique peu connue, bien qu’elle existe depuis près de trente ans.

Tout part de la dramaturgie propre au match, son règlement, son cadre (terrain subdivisé en zones), sa temporalité (durée fixe et découpage en deux mi-temps), qui induit que le spectacle ne sera jamais tout à fait deux fois le même. À cette dramaturgie, Sciarroni ajoute une couche socio-psychologique, puisque le travail avec des sportifs-comédiens handicapés (déficients visuels) interroge notre rapport au monde à travers la cinétique et le sensoriel.

Les règles du sport sont muées en une scénographie dans laquelle le metteur en espace invite à partager un jeu sonore et visuel : la lente disparition de la lumière, puis la saturation auditive par une musique de plus en plus forte, qui plonge le spectateur en situation de handicap ; mais aussi, pour ce qui est du second dispositif, les sportifs eux-mêmes : incapables de s’appuyer sur l’écoute des corps de leurs partenaires et de leurs adversaires, et de l’écho des rebonds de la balle, ils se muent en personnages impuissants et pathétiques.

Au final, qu’est-ce que Sciarroni aura donné à voir ? Aura-t-on assisté à un spectacle ou à une rencontre sportive ? L’esthétique propre au goalball, aussi épurée, stylisée et fascinante soit-elle, n’est rien de plus qu’une partition physique comme il en existe dans tous les sports. Mais ces derniers, isolés du gymnase ou du stade, recontextualisés, acquièrent une dimension nouvelle. « Aurora » répond littéralement à l’exhortation de Ionesco : « Il faut aller au théâtre comme on va à un match de football, de boxe, de tennis. Le match nous donne en effet l’idée de ce qu’est le théâtre à l’état pur : antagonismes en présence, oppositions dynamiques, heurts. »