Alceste. Ce vu et revu. Cette figure tutélaire du théâtre français, usée jusqu’à la corde, donnée à souffrir à tout jeune homme qui a un jour voulu s’essayer au théâtre, et à tant d’autres spectateurs. Molière est un contemporain, peut-on si souvent lire dans les notes d’intention, celles de si nombreux metteurs en scène, certainement en manque cruel d’imagination, et qui en reviennent toujours, par conséquent, à ce classicisme forcené qui paralyse si durement notre théâtre. Alceste, comme Tartuffe ou Argan, nous est ainsi toujours assené, dans des productions fades où la pensée s’est éteinte, sans scrupule, sous le prétexte éculé que Molière, dans son si incroyable génie précurseur, nous parle finalement d’aujourd’hui, et qu’il suffit de nous redonner bêtement ses mots pour que nous en soyons convaincus.
Heureusement, il reste des créateurs qui, eux, osent encore interroger les absolus et ne se contentent pas de se reposer sur la paresse populaire. Nicolas Bonneau est de ceux-là. Avec son « Looking for Alceste », il recherche, il questionne, il tente de trouver ce qui, au cœur du « Misanthrope », fait que nous pouvons encore être touchés par Molière. S’appuyant sur une création lumière épurée et la présence de deux musiciennes, il explore, en toute humilité, et perce avec acuité la douleur de vivre avec soi parmi les autres, dans un envoûtant poème scénique qui brille par son audace de mettre sur un pied d’égalité le français courant de témoignages recueillis et la langue statufiée du dramaturge, et nous ravit en nous faisant enfin entendre Molière s’adressant à nous tel qu’il devait probablement le faire en son temps : humblement, et avec bienveillance.