Noyés nous aussi

Nkenguegi

(c) Samuel Rubio

(c) Samuel Rubio

« Nkenguegi » est une nécessité viscérale, quelque chose qui ne doit pas rester à l’intérieur. Dieudonné Niangouna a beaucoup de choses à dire, à crier, à cracher même, et surtout beaucoup de questions, beaucoup trop pour un seul homme. Avec cette fresque voyageuse à cheval entre l’Afrique et l’Europe, en équilibre au-dessus du Léthé qu’est devenue la Méditerranée, l’auteur et metteur en scène clôt une trilogie d’écriture initiée en 2011 avec « Le Socle des vertiges » et poursuivie avec « Shéda » en 2012. On y retrouve toujours ce goût pour le théâtre choral, cette langue éclatée, imagée, purement poétique. Niangouna brise les frontières du temps et de l’espace, faisant de la scène le seul ancrage possible, la croisée des destinées arrachées en dérive. « Nkenguegi » est une création très sensiblement reliée au présent, avec au centre, au propre comme au figuré, la crise migratoire qui bouleverse le fragile équilibre auquel nous étions encore attachés. C’est l’histoire d’un type qui délire seul sur sa barque, tous les autres sont tombés à l’eau. Et ce délire devient fil conducteur d’une dramaturgie en vrac où les folies des uns et des autres se livrent tour à tour au travers de monologues ensorcelés et explosifs. La réflexion de l’auteur est d’une intelligence manifeste et son verbe, qui ne saurait supporter l’approximation tiède, d’une fulgurance éclatante. Alors pourquoi, Dieudonné, pourquoi nous noies-tu dedans ? On aimerait tellement pouvoir tout entendre, mais tu nous laisses frustrés, submergés par un flot de paroles ininterrompu, sourds aux discours de ces individualités qui veulent se faire aimer à tout prix. Si pour toi chaque mot est d’une importance capitale, laisse-les respirer et résonner pour de bon. Reste tout de même une exigence implacable dans la présence au plateau de tes comédiens, une générosité et un investissement d’une beauté rare, au plus près du vivant.