© Gilles Lozach

© Gilles Lozach

Belgrade « n’est pas un spectacle documentaire » nous prévient-on. C’est pourtant bel et bien un spectacle engagé, qui nous donne à entendre six longs monologues, pétris de rage, de tristesse, de folie. La pièce tangue dans cet entre-deux qui fait cohabiter théâtre et témoignage, avec passion… mais qui manque parfois de justesse.

On suit l’errance d’une journaliste française, spécialiste des conflits dans les pays baltes, à travers différents tableaux où chacun fait le bilan sur la violence exercée ou vécue. Le texte inspiré de la pièce Belgrade. Chante, ma langue, le mystère du corps glorieux d’Angélica Liddell est d’une beauté bouleversante. Les mots tombent justes et la rythmique des phrases touche le spectateur au cœur. Les voix des acteurs sont superbes de douceur et de violence mêlées. Leur diction est parfaite, leur ton aussi.

Mais le spectacle, pourtant chargé d’émotion jusqu’à la moelle, ne réussit pas à nous la transmettre à sa juste mesure. La mise en scène se veut brute, directe. Mais l’impression d’un amas d’effets prend le pas sur le reste. Les idées sont pertinentes, et même saisissantes. C’est une sorte d’expérimentation outrancière qu’il nous est donné à voir : il y a beaucoup de fumée, beaucoup de cris, beaucoup d’effets amplifiés… Quel dommage que ces superbes voix aient besoin de passer par la médiation de micros (les deux scènes avec musique rock, où cette utilisation est justifiée, mises à part).

Si les personnages se présentent tous comme des « objets de l’Histoire » – que l’on utilise sans sentiments, qu’on oublie immédiatement – c’est paradoxalement cette même impression qui s’empare du spectateur : voici de (beaux) objets, des textes et des corps intéressants, qui nous restent irrémédiablement extérieurs.

Le monologue de la journaliste est, à ce propos, exemplaire. Trop long et sans points d’appuis physiques (sur le décor ou autre), Julie Recoing (Agnès, la journaliste) se trouve comme acculée dans un sur-jeu et une longueur assez désagréables. C’est beau, cela vient du cœur, mais cela reste extérieur, malgré tout. Et c’est dommage, car beaucoup d’autres choses sont captivantes et traduisent une imagination dramaturgique fertile (Thierry Jolivet).