C’est le plastique qu’il préfère

Néant

Tous ceux qui ont eu la chance en 2009 de découvrir le travail de Dave St-Pierre dans son mémorable « Un peu de tendresse bordel de merde ! » au cloître des Célestins se souviennent avec une acuité étonnante de cet énergumène québécois aussi attachant qu’étranger. Ce n’est pas l’océan qui nous sépare de sa terre natale qui le rend lointain mais la grâce quasi surnaturelle qui semble l’envelopper. Sa fragilité aussi. Et c’est avec un plaisir non dissimulé que nous venons à sa rencontre, dans le OFF cette fois-ci, puisque c’est ici, selon lui, que l’on peut désormais prendre des risques. Son solo « Néant » est en même temps une ode et une parodie ; un corps qui se désarticule, en souffrance comme le système qu’il dénonce, ou comme pour mieux révéler que derrière l’humour c’est toujours d’amour que ce danseur nous parle. L’accueil au théâtre en fanfare rassure le spectateur avide de spectaculaire, de sexe et de sensations : les retrouvailles auront bien lieu. Nu dans son plastique, frontière transparente, encombrante et bruyante, il maintient résolument une distance qu’il semble tenter d’abolir par des blagues et une perruque blonde. Il se cache donc jusqu’à ce que la danse – son corps qui danse – nous laisse entrevoir l’homme, l’animal, la bête qui ne peut exprimer sa singularité qu’en se déformant. Distorsion physique et mentale. Attention, ça va être triste, nous prévient la perruque blonde alors que deux biches gonflables vont se déliter et s’écrouler doucement sous nos yeux. Attention, ça va être long – oui, il est prévenant –, et le voilà, tel Leo sur sa proue bientôt à la dérive, face public, sublimé par un écrin de plastique en mouvement, son corps offert aux éléments (ventilateur et vidéo dans ce cas précis) et aux regards de son public acquis à sa cause. Ce manifeste aux allures eschatologiques entraîne celui qui s’y laisse prendre dans des contrées orageuses. Dave St-Pierre sait créer des images violentes mais les adoucit toujours avec cette pudeur toute canadienne dont l’humour est l’arme privilégiée. Il attaque, n’épargne personne, prend les coups le premier et laisse le public s’imprégner de sa folie et de sa puissance chorégraphique.