Un homme gravement malade (Aragorn Boulanger), dont la damnation le guide contre vents et marées sur la barque de Charon, s’envole en saccades surnaturelles par delà la gravité : sans aucun doute, les images de « Wade in the Water » de la compagnie 14:20 – pionnière de la magie nouvelle – ébrèchent l’espace-temps jusqu’à couper le souffle du quidam euclidien.
La boîte noire « Wade in the water » découpe en effet les tissus du réel – là où préconscient et fantasmes sympathisent avec la maladie du protagoniste qui s’envenime. Les metteurs en scène Clément Debailleul et Raphaël Navarro agrègent pour ce faire réel, divagation et métaphore : toute scène est sentie à la lumière de ce repartage du sensible. Ainsi en est-il de l’homme aménageant sa pendaison : il tente de se suicider, pense à se suicider et symbolise à la fois son désespoir… Les doutes et atermoiements se réalisent au plateau tandis que le réel s’évapore en paraboles. Le son du glas vient dissoudre les lois de la science : la magie n’est subtilement déroulée qu’à son approche. Magie de l’espace quand le malade réchappe au sol pour valser dans les airs avec son environnement (lit, chaises, table) ; magie du temps lorsqu’il répète les mêmes gestes entrecoupés de noirs… Mais quels noirs ! Rarement une création lumière aura sublimé l’effet ringard : car ils sont une seconde trop courts pour que le danseur ait logiquement le temps de se replacer au même endroit. La magie se niche à T-1 : derrière cette seconde qui manque, des multivers de poésie. Nous parlions récemment de « Janet on the roof » de Pierre Pontvianne, qui bâtissait son monde dans l’intervalle entre les secondes ; la force de « Wade in the water », quant à elle, provient de leur sélection : celles qui manquent (le temps des noirs) vs celles qui dureront éternellement (l’espace de la gravité).
Mais quelle terrible erreur d’assaisonner ces folles images d’une pseudo-fiction à l’évidente médiocrité dramaturgique… Pourquoi la première partie s’efforce-t-elle de naviguer de poncifs en topoï narratifs ? Un couple aux sourires de statues et au bonheur naphtaliné que la maladie de l’homme a l’air timide de tourmenter, au coeur d’une ambiance à l’épure scénographique et lumineuse qui s’assure bien à tort de garder le spectateur à distance émotive. Résultat : les scènes capitales – l’annonce de la maladie par le médecin ou la colère mutique et au ralenti de l’homme – frisent presque le ridicule. Chaque adieu du protagoniste devient un aveu d’échec : à la femme, au père… Même au public : rien qui préexiste donc rien à détacher. D’autant plus frustrant que « Wade in the water » a l’audace d’un excellent spectacle ; mais la fiction, faute d’être enrichie ou supprimée, teinte de facilité l’ampleur poétique de la magie.