© Jean-Louis Fernandez

À chaque fois, La Vie Brève ravit par une excellente méthode artistique, qui mêle théâtre et musique avec un génie dont l’exigence n’enlève rien à l’élan populaire. « Songs », mis en scène par Samuel Achache en solo, est donc un très bon spectacle, il va sans dire. Il ne s’émancipe pas, pourtant, d’un certain manque de vigueur narrative.

Sylvia est malheureuse au plus beau jour de sa vie : son mariage, dont elle doute subitement, encellulée aux toilettes. Alors qu’elle échoue à s’extraire d’un état qui semble la poursuivre depuis l’enfance aux dires de sa sœur (l’excellente Margot Alexandre), l’espace scénographique dévoile, dans une confondante émotion, les intérieurs de son esprit : un orchestre baroque (l’Ensemble Correspondances) s’y lamente devant une scénographie « encirée » par la mémoire malheureuse de la protagoniste. Débute alors une laborieuse entreprise afin de gratter la couche de mélancolie, guidée par ladite sœur, pour l’occasion agglomérée à l’image rémanente d’une directrice de colonie de vacances, à l’humour incroyablement percutant. Les personnages de la vie de Sylvia s’y croisent : la mère, à la fois pleureuse et autoritaire, comédienne et chanteuse (Lucile Richardot), le petit ami un peu dilettante, et les spectres baroques comme autant de personnages fantômes — à mesure que des scènes se rejouent ou s’inventent selon les fantasmes ou les regrets de la mariée.

« Songs » émeut aux larmes autant qu’il fait rire — parfois les deux en même temps — sans jamais appuyer sur le pathos ou le démagogique. Si l’on reste quand même un peu sur sa faim, c’est parce que la méthode de La Vie Brève, admirable dans sa façon d’agréger les sentiments en même temps que les publics, ne suffit pas à pallier, en face, le manque de force patent de l’histoire — ou plus précisément, de la narration. Au fond, le monde de Sylvia est de peu d’intérêt, de même que l’exploration de la psyché reste anecdotique : tout s’y enchaîne avec un confort déconcertant, jamais l’esprit n’entraîne quelque réelle rupture ou digression ; d’autant que le moindre élément spirituel (donc possiblement cryptique) est à chaque fois dépoétisé par la sœur-directrice. Par timidité peut-être, « Songs » reste dans l’antichambre de l’esprit, sans jamais y pénétrer tout à fait ; de sorte que la méthode finit par patiner à force de traîner son monde loin derrière elle. Faute d’exaltation dramaturgique, l’intérêt de « Songs » restera donc finement sensoriel ; ce qui est déjà sémillant.