“Mentawaï !”, de Jean-Denis Pendanx et Tahnee Juguin, fait partie de ces récits anthropologiques documentaires qui tentent d’éviter l’écueil du traditionnel binôme observateur/observé. Il y parvient grâce à une double autobiographie : celle de Tani (Tahnee Juguin) et celle de la tribu Mentawaï. Le récit se construit donc autour de ces deux voix, tentant chacune de faire un pas vers l’autre et donnant à la bande dessinée son caractère polymorphe.

Tani, une jeune fille d’une vingtaine d’années, part seule sur l’île de Siberut, en Indonésie, afin de réaliser un reportage sur les Mentawaï. Elle vivra plusieurs années aux côtés de cette tribu qui résiste à l’oppression de la dictature indonésienne. La réalisatrice a la délicatesse de laisser les Mentawaï se filmer, se mettre en scène et raconter leur propres rites. L’enjeu est double : s’il s’agit pour la jeune fille de donner à voir quelque chose de cette culture, c’est aussi une manière pour les Mentawaï de gagner de l’argent, et de conserver, paradoxalement et avec les outils mêmes du capitalisme, de l’impérialisme et de la mondialisation, leur indépendance et leur culture. Très vite, cette boucle infernale (vendre du folklore pour le conserver) trouve sa limite : le producteur de la chaîne de diffusion du reportage annonce devoir couper les rushes filmés par les Mentawaï au montage, afin de  garder le caractère « tout public » du film.

La dimension méta-cinématographique de la bande dessinée liée au fait que les planches se confondent avec les plans du films donne à l’ouvrage une épaisseur réaliste ; la mise en abyme cesse lorsque la bande dessinée révèle son véritable projet à la fin : offrir un contrepied à ce film trahi et raté. L’oeuvre propose de montrer les coulisses du film, et traite, non sans ironie, la manière propre au documentaire de mettre en scène et d’exotiser des pratiques cultuelles. Les camera.wo.men et les acteur.ice.s rejouent leur propre rôle, s’amusent de la barrière de la langue. La bande dessinée se termine sur la décision commune de Tani, Teo Jartho et Teo Lepon (deux cameramen) de devenir les propres réalisateurs et les propres producteurs de leur films, s’affranchissant, ainsi, d’une culture du reportage en France et en Occident qui continue malgré tout, de faire vivre deux postures : celle de celui qui est observé, et celle de celui qui observe.