© Christophe Raynaud de Lage

Difficile de critiquer un spectacle sans l’avoir observé en entier — non pas qu’on l’ait quitté faute de l’aimer, mais que le hasard de la dramaturgie contraigne de rejoindre le plateau lors d’une scène interactive quelque part entre embarras et amusement, d’autant qu’elle est à la charnière de la proposition du Groupe Chiendent. Car si le début d’ « Inconsolables » consiste à brouiller les frontières du réel et du théâtre (soit un couple racontant leur histoire au plateau), bien vite l’enjeu dramatique se recentre autour de leurs déboires : ils se supportent de moins en moins, le crash est imminent… Voilà que la scène devient le lieu fatal pour leur séparation. Et à mesure que le couple sombre dans la déliquescence, la fiction, discrètement, prend le pas sur le réel : des ombres colorées surimpriment les acteurs-personnages, une musique électro envahit l’espace mental, les corps se maculent de paillettes et de boue… De peur de se séparer pour de vrai, il faut se cacher derrière la fantasmagorie. En apparence, elle n’est pas moins effrayante : « comment revenir en arrière une fois ce jeu commencé ? » — s’inquiète le couple. Mais c’est trop tard : Nadège est déjà partie à la recherche d’un nouvel amant dans le public. Ayant la (mal)chance d’être élu, il faut alors se prêter au jeu d’une drague anxiogène… Avant que l’actrice, prise de rage, ne trimballe de force son (ex-)amour dans une limbe fielleuse : elle qui est si aimable, voilà qu’elle déverse enfin la haine qui l’habite. 

En fait, « Inconsolables » émeut surtout lorsque le spécifique (l’histoire de Nadège et Julien) l’emporte sur l’archétype : lorsque le couple est sans artifice et qu’il s’offre aux jugements et regards étrangers… Et moins lorsque, le temps allant, il devient de plus en plus théâtral voire anonyme, là où l’honnêteté de la proposition se trouve un peu absorbée par une esthétisation superfétatoire. Autrement dit, autant de beauté liminaire ne peut que discréditer les effets visuels et sonores qui s’ensuivent… Est-ce parce que les acteurs, au fond, ont peur de jouer leur séparation à nu, sans que le théâtre ne vienne la maquiller ? « Inconsolables » évoque succinctement Angélica Liddell, elle qui sait comme peu conjuguer folie visuelle et adresse public brute, ne se cachant derrière rien d’autre que la vérité. Probablement « Inconsolables » gagnerait à s’en inspirer plus encore afin que ses ambitions esthétiques ne desservent pas trop sa dramaturgie, pourtant édifiante.