(c) Marc Domage

Aussi nu que son plateau sous ce qui semble une jupe en chute de couvertures, Boris Charmatz rêve et interprète un solo composé d’inconscient personnel et collectif.

“Somnole” se détache par sa singularité parmi les créations récentes du chorégraphe que l’on connaît sortant la danse de ses décors coutumiers et proposant des plateaux chargés de danseurs – à contre-courant d’un minimalisme moins esthétique que budgétaire.Œuvre de confinement, “Somnole” semble une parenthèse, un retour à soi avant l’étape prochaine de l’artiste, sa prise de poste à la direction du Tanztheater Wuppertal, en septembre 2022.

Le chorégraphe entre à jardin avant même que son pied ne se pose sur le tapis de danse. Un sifflement vibrant épaissit l’air de la salle. Il pourrait venir de partout ou d’ailleurs, jusqu’à ce que son origine, le corps du danseur, se manifeste. Le sifflement sera tout au long du spectacle tantôt décor du mouvement, tantôt membre additionnel.

Il s’ajoute comme une contrainte nouvelle qui met en lumière les autres. Si danser est faire l’expérience du corps dans ses possibilités mais surtout dans ses limites, danser en sifflant en rend manifeste une des principales, l’essoufflement. Alors, devient tangible ce que la danse tient du compromis. La fatigue de tel mouvement limite la puissance de ce son, tel son encore contraint à un mouvement réduit. Il y a une émotion singulière à voir le chorégraphe inventer une manière nouvelle de révéler – derrière sa technique – sa vulnérabilité et celle de son art. N’employant pas son savoir-faire à un simulacre de facilité, Boris Charmatz chorégraphie, au contraire, l’effort, le bout du souffle, la limite. Et la taille mesurée du studio Lilian Baylis au Sadler’s Wells à Londres, nous permet d’en faire une expérience rapprochée.

Il fait passer le rapport de deux médiums, la danse et la musique, de la promiscuité à l’unité, comme si l’un avait avalé l’autre. Une intimité crue se dégage de cet accès qui est donné à la mélodie intérieure, au mouvement mental du danseur. On découvre alors qu’il y a une certaine pudeur dans le simple mouvement.

Fermant les yeux, puisant peut-être dans son travail sur les sensations collectées avec Odile Duboc, il emprunte à la somnolence cet état de porosité entre l’inconscient et l’éveil et laisse échapper sa mémoire corporelle et mélodique pour venir rencontrer la nôtre.

Il semble célébrer le sommeil comme état propice à la création. Peut-être est-ce inerte que l’on rêve encore le mieux de mouvement. Il prend finalement la main de personnes au premier rang, comme au réveil on touche les draps pour se confirmer l’existence du réel.