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Il est des spectacles qui agacent à cause de leur hyper-expressivité, à cause des mots sans ombre qu’ils adressent. Il y en a d’autres où le choix de le frontalité s’impose, car les paroles sont dites un peu trop fort mais pour la première fois. “The Silence“ de Falk Richter est de ceux-là.

Assez laid et inutile, le lourd décor au jardin violacé et aux petit murs de pierre purement allégoriques (autant des ruines qu’un espace en cours de reconstruction) n’encombre heureusement pas l’imaginaire. Il n’empêche pas non plus la scène théâtrale d’exister dans son plus simple appareil politique, le plateau devenant ici une zone explicite de transgression où la parole jamais dite peut enfin s’adresser. Le spectacle commence même par délimiter la limite qu’il franchit verbalement : « Si ma mère écrivait un roman sur notre famille il serait très court. / Elle dirait / nous étions très heureux. » C’est contre cette puissance oblique et illusoire du dire, celle qui a toujours camouflé l’intériorité du jeune Richter (surtout l’expression de son homosexualité), que s’élève alors l’anti roman familial qu’est “The Silence“, passant du carcan autobiographique aux possibles fictionnels. 

Le franchissement de la loi silencieuse est d’autant plus émouvant qu’il se passe de circonvolutions dramaturgiques et représentatives. Que ce soit pour l’incarnation de Richter par Stanislas Nordey (acteur-passeur par excellence) qui s’impose d’autant plus sincèrement qu’elle n’est pas problématisée (sauf quand Richter ironise sur l’enfance sans doute plus heureuse de Nordey…). Ou bien lorsque Richter lui-même, à l’écran, tire les vers du nez d’autruche maternel, dans un film très léché qui tranche avec la pudeur habituelle des autofictions. Ce langage scénique a priori sur-assertif (qui donne lieu à des envolées politiques un peu naïves mais qui ironisent toujours leurs embardées) n’est pas non plus l’ennemi juré du silence. Car ce dernier, désigné au départ comme le responsable du refoulement, devient peu un espace de réconciliation possible avec le monde. En effet, c’est moins “la loi du silence“ qu’accuse progressivement Richter que les bavardages familiaux. Le silence quant à lui, celui qui rapproche les êtres et qui réunit les âmes, comme l’écrivait Maeterlinck, est reconsidéré pour les vérités profondes qu’il donne à voir, autant le désir mutique de jeunes hommes qui se déhanchaient sur Depeche Mode que la disposition océanique des Requins du Groenland. Se réapproprier théâtralement la puissance politique d’un silence qui n’est plus subi mais choisi, plus passif mais actif : voilà le beau processus qui parcourt, parmi des mots parfois trop sûrs d’eux, ce “Silence“.