© Simon Gosselin

Depuis “Britannicus”, monté au Français en 2016, Stéphane Braunschweig s’engage  dans une corneillisation de Racine que la critique lui a parfois reproché.

Montrer quels mondes en guerre et quelles structures de pouvoir désignent les tragédies raciniennes au-delà des passions intemporelles qu’elles épanchent : voilà le projet dramaturgique résolu de Braunschweig, synonyme pour certain.e.s d’une désaffection  du tragique. Le déplacement opérait pourtant efficacement dans “Britannicus” et “Iphigénie”, parce qu’il permettait un autre régime d’attention à la tragédie classique pour le coup contemporain : un suspense propre à toute grande série politique surprenait le vieux répertoire. Ici ce n’est malheureusement pas le cas. Sans doute parce qu’”Andromaque” est une telle pomme d’amours que l’épaisseur politique et la possible butée contre le réel qu’elle recèle peuvent constituer au mieux une strate du spectacle mais ne semblent pas pouvoir s’affirmer comme son principe esthétique. Des scènes de discussion à la table, entre hommes costumés, engagent effectivement le spectacle dans ce chemin plus rationnel, tandis que la langue naturalisée et conséquemment accélérée de Racine ne permet la plupart du temps à nos oreilles qu’une saisie factuelle du sens.

Le spectacle fait néanmoins percer quelques vraies bouffées de tragique, quelques salvateurs dérapages du sens  : ceux sécrétés par la douleur sans nom d’Andromaque, par la rage soudaine d’un Pyrrhus dont le monstruosité surprend l’animal politique, par l’étau sonore très castelluccien qui assaille finalement le plateau brut et le corps de l’héroïne, portant alors avec majesté son exil du réel. Moins par la scénographie, cercle aqueux retenant la mémoire rouge des sacrifices, qui est moins cinétique que théorique : les corps – comme souvent d’ailleurs avec les sols théâtraux aquatiques – y vont de leurs coups de pied pour faire exister tant bien que mal la matière sans que celle-ci ne les provoque réellement. Ainsi, deux velléités spectaculaires se tirent la bourre sans parvenir à se densifier mutuellement et sans concrétiser les bienfaits dramaturgiques d’une “Andromaque“ désenchainée de ses passions primaires.