L’homme abîme la nature qui l’a fait naître

Dans le Guling Street Avant-garde Theater, une ancienne station de police, trois générations de performeurs se succèdent sur une scène banale, Watan Wuma, Tseng Chi-Ming et Yuan Hsiang-Chiang, comme si chaque performance devait s’emboîter dans la précédente, et dessinait un parcours négatif, violent et désespéré. À la fin de la dernière performance, le plateau est un champ de bataille sale, laid et ruiné.

Wuma, âgé et nu, s’exerce, tel un vieux gymnaste, autour d’une table, avant qu’un parpaing ne vienne la fendre en deux. Chi-Ming, le second performeur, recouvre la scène de glace, avant de s’enfermer nu, dans un geste éprouvant à regarder, dans un sac plastique plein de glaçons. Quand le dernier des trois, Hsiang-Chiang, vient installer calmement les éléments de sa performance, de l’eau, de la terre, des feuilles, des plantations de riz et des pièces de monnaie, tout est déjà sale, laid et abîmé. La table est en morceaux, ses vêtements sont pleins de boue (il s’est à trois reprises versé un saut de boue sur la tête), il a perdu ses lunettes qui gisent par terre. Les parois du théâtre sont couvertes de taches, c’est un paysage de désolation. Beckett avait écrit : « Ça y est, j’ai fait l’image », et la dernière image est saisissante. Dans ce paysage saccagé par l’homme (l’homme pauvre des rizières diront certains dans une analyse politique), le performeur s’enfonce dans la bouche un plant de riz, se recouvre la tête de sa chemise boueuse qui dégouline, puis s’attache cette chemise au visage avec une pelote rouge. Pantalon dégueulasse, torse nu, grosse tête ficelée et monstrueuse, on l’entend gémir. Si la performance rappelle le body art des années 1970, elle nous raconte d’une façon bouleversante combien l’homme abîme la nature qui l’a fait naître, et comment il est devenu le prédateur désespéré qui détruit tout, le suicidé de lui-même. Le public quitte doucement la salle, tandis que deux femmes s’approchent de Yuan Hsiang-Chiang pour l’aider à retirer les bandelettes rouges qui l’étouffent, la représentation est finie, il semble pleurer encore. Une performance négative, violente et bouleversante.