© Christophe Raynaud de Lage

Ça commence par un cadeau : une petite carte avec un oiseau migrateur dessiné dessus, distribuée à chacun au début du spectacle, comme un talisman pour se donner du courage avant le grand saut dans la représentation, cet espace-temps où tout est possible. Du courage, il en faut sans doute à ces tous jeunes spectateurs qui découvrent peut-être le théâtre pour la première fois : « Je suis un lac gelé » est en effet écrit pour les enfants à partir de trois ans.

Sophie Merceron a imaginé une fable très délicate en utilisant l’outil le plus fondamental du théâtre, donner la parole à ce qui d’habitude ne la prend pas. Ici pas d’intrigue, de quête, de péripéties qui répondent à un schéma actanciel bien huilé, il ne s’agit que d’attendre, attendre le retour des oiseaux migrateurs et un en particulier. Alors en attendant on rêve et lorsqu’on rêve, on fait parfois des rencontres étranges. Ici c’est Göshka qui attend le retour de son père et qui d’un fantôme bienveillant, habitant de la glace, se fait un ami. Ensemble ils jouent à des jeux de langage comme on joue pour passer le temps. Sous chaque devinette se cache la clé d’un passage qui nous amène avec beaucoup de pudeur à en savoir plus sur le protagoniste de 5 ans, ses joies, ses fureurs, ses douleurs secrètes. Quand la parole devient trop lourde, c’est un second ami imaginaire, l’alto de la comédienne musicienne Iris Parizot, qui prend le relais. La mise en scène est tout aussi minutieuse que l’est le texte. Assis en cercle comme autour d’une petite piste de cirque, nous sommes les invités du monde intérieur de Göshka, espace qui oscille entre le lac et la chambre. La voix enregistrée de Milan, son vis à vis, se déploie tout autour de nous grâce à un système de spatialisation sonore ; effet étrange, inquiétant peut-être, mais pas du tout angoissant. Car il vrai que tout n’est pas rose dans la vie du jeune garçon et l’histoire de son ami Milan n’est pas réjouissante non plus, mais c’est bien le parti que la pièce semble vouloir défendre. A l’heure où les éducations « bienveillantes » recommandent de mettre les enfants sous une chape de plomb, à l’abri des « terribles pépins de la vie », comme les appelait Prévert, « Je suis un lac gelé » met en lumière avec sagesse les outils dont nous disposons pour amortir nous-mêmes les accrocs de ce monde, comme cette très belle évocation croisée des blessures intérieures de l’enfant et de l’agressivité qui déborde parfois de lui à travers les mobiles d’oiseaux qu’il a cassé « exprès ». A l’injonction de l’enfance idéale, Sophie Merceron et Matthieu Roy répondent par une ode à l’imagination, celle qui nous permet de nous évader, celle qui rend l’absence supportable, celle qui porte en elle l’espoir du printemps.