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En 1994, sur les bancs de l’université des Arts d’Essen s’agrègent les membres de la compagnie Familie Flöz. Leurs productions sont variées mais le dénominateur commun sur presque 30 ans de création ce sont les masques semi-réalistes au regard égaré et au long nez – façon Triplettes de Belleville – portés par les interprètes : “Nous pensons les masques comme universels, une invention humaine ingénieuse et intrinsèquement associé au théâtre et à notre recherche de nous-mêmes.”

Le public français les connaît notamment avec leur “Hotel Paradiso” qui a reçu le prix de la critique du OFF à Avignon en 2013 et s’est poursuivi d’une tournée dense dans plus de 80 villes françaises. “Feste”, créée en 2021, montre la maestria de la compagnie qui, ne cessant d’explorer son théâtre physique, silencieux et masqué, finit immanquablement par en avoir une maîtrise parfaite. Il y a du conte de fée dans “Feste”, prenant très au sérieux le potentiel d’artifices et de magie inhérent au spectacle. Le rythme est incroyablement juste, millimétré et le public hilare. Le piano et le violoncelle à l’angle du plateau proposent un accompagnement parfaitement ajusté et manœuvre les émotions avec une main de maître.

La pièce respecte quasiment la règle des trois unités : temps, lieu, action. Tout se joue dans l’arrière-cour d’une maison bourgeoise dont la fille se marie. Il n’y a que trois acteurs au plateau mais l’on croirait en voir passer une douzaine : la fille, son futur, son père, le maitre de maison, une intendante, le cuisinier, la femme de ménage, le gardien, le facteur, une femme à la rue qui est entrée par inadvertance. Toute une hiérarchie dégressive qui porte le fond de la pièce.

Le miracle de cette création est de voir le public, adultes et enfants, sortir avec des étoiles plein les yeux et le sourire aux lèvres d’un spectacle dont le fond est la violence de classe. Ils ont trouvé cet équilibre fragile de ces personnages dont il est impossible de déterminer s’ils sont aimables ou détestables. Leur manière de mettre à plat la structure sociale est de les montrer tous un peu minables, essayant chacun de performer quelque chose, de correspondre à une idée qu’ils se font d’eux-mêmes ou qu’ils pensent que les autres attendent d’eux. On les voit faire de leur mieux et échouer immanquablement. “Nous pensons que l’échec joue un rôle essentiel et secret dans nos existences. C’est pour cela que l’échec prend un rôle aussi important dans nos travaux. C’est vrai des histoires que l’on raconte et de la manière dont ont fait du théâtre.”

Il y a quelque chose de politique dans le fait de montrer des gens incapables de faire ce qu’ils ont à faire, même des tâches de la plus grande simplicité. Incapables de travailler, d’être efficaces. Échouer dans leurs bonnes intentions comme dans les mauvaises. On nous donne une structure sociale, avec chacun sa place et ses responsabilités, et puis on observe ce qu’est vivre et ce qu’est être un humain précisément dans l’écart de ses échecs à la faire tenir et à s’y évertuer pourtant.