Mathilde Monnier propose, dans « Records », le testament de cette folle et étrange période de solitude décidée à la suite de la pandémie de Covid. Le premier état de cette pièce chorégraphiée fut d’abord une danse de libération qui venait s’échouer contre un mur. Le mur est toujours là et c’est sur cet obstacle que viennent buter les six interprètes féminines. Elles ne cessent d’y revenir, parfois disparaissant derrière avant de reparaître ; elles tentent aussi de le surmonter et voient, l’espace d’un instant, ce que nous sommes condamnés à imaginer.
Ces corps, aux bustes nus, s’entrechoquent parfois, mais ne se rencontrent véritablement jamais. Ils peuplent tant bien que mal le plateau nu et occupent l’espace sans parvenir à combler leurs solitudes singulières. Et pourtant, parmi ces bribes de folies, naissent des contacts. Parlant de ce travail avec des amis, je me suis trompé de titre à plusieurs reprises le baptisant « Regards ». Peut-être parce que c’est par le regard intense de chacune des interprètes que le lien renaît. Peut-être parce que, n’osant plus nous croiser ni nous rencontrer durant la période du confinement, nous avons oublié aussi ce que c’était que de regarder l’autre. Et les seins nus des danseuses sont là pour nous rappeler que l’hyper sexualisation des corps détourne nos regards de l’essentiel. Si l’on ne peut ignorer dans un premier temps ces poitrines féminines qui se dressent face à nous, les interprètes réussissent à détourner notre regard de cet élément du blason féminin que des siècles d’histoire ont transformé en objet de désir ou de honte pour nous rappeler que l’essentiel réside dans ce lien qui se crée chaque soir entre les danseuses et le public, mais aussi entre les interprètes elles-mêmes. Par leur engagement physique, par leur regard et par leur énergie, les six danseuses, cadrées par Mathilde Monnier, nous obligent à nous mettre à nu et nous nous regardons. Vraiment.