« Hors-jeu » dans le mille

La pluie pleure

Ce que parvient à provoquer l’auteur et metteur en scène Nicolas Givran dans cette création réunionnaise est à la fois audacieux, tendre et nécessaire. Ce spectacle tout public plaira particulièrement aux adolescents et à tous les spectateurs qui errent dans leur vie à la recherche de chimères qui justifieront leur existence. Le titre, certes poétique, ne dit pas tout, car on y rit autant que l’on y pleure, c’est à un rodéo d’émotions que nous sommes conviés, comme si nos hormones se mettaient subitement à réclamer une nouvelle puberté. Nos deux jeunes héros d’un soir se retrouvent par hasard devant un bar, le Hors-Jeu, un peu saloon, un peu lieu de rassemblement de geeks des années 80, et tentent maladroitement d’apprivoiser les grandes évasions qui les titillent. La scénographie, particulièrement réussie, plonge immédiatement dans cette ambiance de seuil, les limbes entre deux âges, ces interstices qui construisent un parcours et une personnalité : des néons, des affiches sur la devanture, une cabine téléphonique – cordon ombilical avec la mère –, un réverbère. À ce dispositif déjà très cinématographique s’ajoutent des projections qui loin d’être illustratives permettent les échappées belles (et drôles surtout) vers le monde adulte, canal pour les recommandations et les bons conseils des proches. Le pivot dramaturgique central de la pièce est une œuvre en soi : un des jeunes garçons souhaite remettre en main propre une lettre d’amour écrite à Christiane Taubira pour lui confier ses troubles amoureux naissants. Les remerciements et les incompréhensions de l’enfant s’expriment dans une langue enlevée, au plus juste de l’état émotionnel évoqué, l’humour sans faire exprès et une sincérité qui désarme. En acceptant les silences, en assumant une arythmie peu fréquente dans les spectacles tout public, la mise en scène s’ancre dans une recherche dramatique contemporaine et offre une proposition qui, par son sujet et par sa forme, mérite d’être suivie avec attention.