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Mitchell, Honoré, Braunschweig, Jeanneteau…, la plupart des metteur-e-s en scène ont eu leur heure Pelléas. Celle de Benjamin Lazar était venue en 2017 et pourtant, dans cette recréation événement avec Judith Chemla, elle ne semble pas dater d’hier.

Esthétiquement d’abord, ce « Pelléas et Mélisande » calfate la métaphysique maeterlinckienne au profit fâcheux du folklore et de l’imagerie onirique qu’on a attribués trop souvent au symboliste belge. Une forêt se dresse timidement sur le plateau. Ses arbres trop bas laissent voir les frises sur-éclairées du théâtre. La fosse d’orchestre est elle aussi trop lumineuse pour que l’invisible nous nargue. Sans cosmos dans les yeux, le petit Yniold est un gentil lutin des bois tandis que Mélisande troque sa fragile robe blanche contre des habits à fleurs dont aime se parer la famille de Pelléas. En somme, Lazar prend au sérieux l’injonction à la joie faite par l’un des personnages pour faire de ce « Pelléas et Mélisande » tout le contraire d’une maison théâtrale malade, pétrifiée par le mystère. Sauf qu’évidemment, un Maeterlinck sans mystère est un pétard métaphysique mouillé, un petit drame bourgeois sans conséquence,  une « œuvrette » comme disait l’auteur à un seul « étage » qui, au lieu d’éprouver les sens, brossent le positiviste dans le sens du poil.

Politiquement ensuite, la représentation de Mélisande en petite fille apeurée et éplorée, constamment malmenée par les hommes qui l’entourent, semble toujours complaisante et jamais combattue par le dispositif représentatif. Lazar ne crée pas le moindre écart entre les projections masculines et la présence de Mélisande elle-même. Le choix de Judith Chemla, qui pratique magnifiquement le chant lyrique mais pas l’opéra, était judicieux car elle aurait pu tordre la partition de Mélisande, hisser son corps théâtral au-delà du Logos opératique (corporel et verbal, emblématisé par le jeu maniéré et sans mystère de Marc Mauillon alias Pelléas ) pour faire effraction dans le réseau de significations trop fermé qui s’édifie autour d’elle. Sauf que dans la mise en scène de B. Lazar, qui trahit la suggestivité maeterlinckienne par une constante illustration (allant jusqu’à montrer les petits moutons de bois qu’Yniold est censé apercevoir au lointain), elle n’est jamais en rapport critique avec l’action. Profondément désuet en somme, sans que cette désuétude ne puisse jamais être politique, ce « Pelléas » déçoit car les spectacles de B. Lazar nous habituent à une hybridité (« Traviata », « Heptameron ») ou à une force suggestive (« Les Etats et empires de la lune ») qui semble ici capituler face à la muséalité opératique.