© Vincent Descotils

Poétiser la folie est chose ardue. Claire Barrabès semble emprunter le chemin que prit, il y a quelques années maintenant, Zabou Breitman dans son « Logiquimpertubabledufou », pour nous entraîner aux confins de la folie. Et pourtant Claire Barrabès se fraye, avec le concours bienheureux de Patrick Pineau et de l’énergique troupe de comédiens/danseurs/chanteurs, un chemin qui lui est propre.

Sans jamais juger ni condamner définitivement ces êtres fragilisés auxquels elle a donné vie, l’auteur parvient à nous faire sourire. On éprouverait presque une forme de tendresse pour ces « pas grand-choses » qui s’éteignent loin du regard des hommes. Au moyen d’un dispositif bifrontal, la mise en scène de Sylvie Orcier nous convie à assister au grand bal de ces êtres à la marge qui, « à force de liquide et de danses » se sont retrouvés enfermés dans cet asile. Et pourtant à travers toutes les fêlures de ces êtres, la lumière jaillit. Le graffiti tagué sur un pan de mur de l’hôpital par une mère qui ne sait plus aimer nous le rappelle tout au long de la représentation : « Les belles choses, c’est comme la chiasse, ça se glisse partout, même chez les pas grand-choses ».

Dans ces lieux, la souffrance infuse tous les êtres, soignants comme patients, et si le message politique de l’abandon de l’hôpital est peut-être souligné de manière trop directe, trop évidente, il apparaît clairement que la frontière entre le malade et le soignant est parfois poreuse. En voyant ces êtres se débattre sous les néons blanchâtres de l’hôpital, me reviennent à l’esprit ces mots griffonnés par un patient de Sainte-Anne et conservés dans les archives du centre hospitalier : « Encaissé sans mourir comprimé séquestré, on vit dans cette tombe englouti calfeutré. » Claire Barrabès et Sylvie Orcier tracent les contours d’une porte de sortie. On danse et on chante au bord du gouffre (mention spéciale à la voix chaude et envoûtante de Pablo Elcoq), et si, pour pasticher Baudelaire, notre monde est noir comme de l’encre, les cœurs de ces êtres fêlés sont remplis de rayons qui transpercent les tristes murs de l’hôpital.