Jeunes et jolies

L’Âge libre

©DR

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« Sauvagement inspiré » des « Fragments amoureux d’un discours amoureux » de Roland Barthes, « L’Âge libre » réunit tous les composants de la réussite et s’annonce comme l’un des succès de ce OFF. D’ailleurs, le spectacle a déjà raflé toutes les récompenses (prix du Jury du festival À contre sens, Premier prix du Crous de Paris, Premier prix du Concours national de théâtre étudiant du Cnous). Mis au parfum en conférence de rédaction, on arrivait avec quelque appréhension, il faut bien le dire – un Roland Barthes « genré », un spectacle féministe et militant. Mais à la caisse du théâtre, l’esprit est conquérant : le produit est sûr et on s’est sentis d’emblée mauvais coucheur.

Il est vrai qu’elles sont archi craquantes, ces quatre jeunes filles pêchues et fragiles, sur leur ring dessiné par des guirlandes de leds. Elles sont chou, elles ont tous les talents, elles dansent, elles chantent impeccablement et se démènent comme de beaux diables en peignoir blanc puis en maillot noir deux pièces. L’une d’entre elles professe « J’ai un burn out de projets ». De fait, les comédiennes ne lâcheront jamais le spectateur, bien vite au bord du burn out lui aussi. Il en a pour son argent, car ce n’est jamais stop, c’est toujours encore. Les tubes consensuels s’enchaînent à gogo (« Première suite au violoncelle » de Bach, « Can’t Take My Eyes Off You » de Gloria Gaynor, « Bésame mucho » de Cesaria Evora, « It’s Wonderful » de Paolo Conte, etc.) et la quatrième corde du ring est rapidement détachée et franchie afin d’établir la fameuse interactivité avec le public.

Dans ce spectacle, dire ne suffit jamais. Car dire, c’est toujours faire : lorsqu’on mentionne, dans une des multiples love stories relatées, que ce jour-là il pleuvait, on s’asperge à l’aérosol d’eau minérale, afin que le spectateur puisse bien revivre la scène. Au chapitre PLEURER, les malheureuses actrices croquent de vrais gros oignons crus, s’en frottent les yeux et, comme si cela n’était pas assez, s’instillent des larmes artificielles.

Au fond, c’est moins l’esthétique du cabaret, revendiquée dans le programme, que celle de la saturation. La véritable prise de risque, c’est celle de l’indigestion. Même le petit moment d’anti-intellectualisme n’est pas absent : on daube sur la nouvelle vague et les « films hyper chiants » d’Éric Rohmer.

Un seul ingrédient manque peut-être : les moments de silence, pourtant si efficaces au théâtre. Car, pris dans ce tourbillon, on a un peu de mal à saisir le propos. On repère bien parfois quelques citations de Barthes, on entend des passages de « Lettres à un jeune poète » de Rilke. Mais ce qui fait mouche, ce sont surtout les répliques qui parlent cul. Maintenant que « Le Monde » et « Madame Figaro » s’y sont mis, on se sent relax sur ce sujet, à vrai dire. Une comédienne déclare ainsi « Je suis jalouse quand mon mec regarde un film porno » avant de s’interroger sur la sexualité de ses grands-parents : sa mamie se faisait-elle faire des cunnilingus ?

« L’Âge libre » est un mélange improbable de Roland Barthes et de « femmes libérées ». C’est les « Fragments d’un discours amoureux » version « Biba ».