The Thing : la faille dans le système ?

The Thing

Spécialiste depuis une dizaine d’années des performances interactives, Christophe Meierhans signe avec « The Thing », créé avec Ant Hampton, un projet hybride à mi-chemin entre workshop, installation et performance sans performeur. Son objectif : explorer les voies de résistance au système.

C’est avec une curiosité certaine que l’on se retrouve dans le hall du théâtre Tjarnarbio de Reykjavik. Neuf participants vont se réunir pendant quatre heures dans une salle de conférences avec pour tout dispositif un rétroprojecteur et une liasse de documents photocopiés. Ce sera au groupe de gérer son temps et les prises de parole. Certaines étapes requièrent un petit questionnement sur la marche à suivre. À commencer par la première : un message à retirer d’une bouteille, qui explique le déroulement de la séance. Dès le début, on comprend qu’il va s’agir de pensée oblique : « Comfort isolates », affirme dans une interview l’écrivaine américaine Susan Sontag, nous exhortant à retrouver une vraie liberté en sortant de notre zone de confort.

Le projet tient davantage du collage de séquences extrêmement disparates dans lesquelles des artistes ou de simples citoyens, un peu partout dans le monde, tentent de provoquer des failles dans le système ou dans nos routines. Les exemples de subversion vont de l’anecdote artistico-absurde (comme celle de William Pope L. affirmant : “Crawling is an act of struggling, not of humiliation”) à la manifestation d’une opposition politique majeure, à l’instar des images cultes de ce militant chinois opposant, seul, son corps à l’avancée des chars sur la place Tian’anmen en juin 1989. Le dispositif est séduisant mais devient très vite problématique : il n’y a pas d’autre choix, la plupart du temps, que d’entendre les textes lus par d’autres participants, au lieu de les lire soi-même, à son rythme. Nécessaire pour la synchronisation méticuleuse du processus, le procédé devient, au fil des heures, un peu lourd.

Mais surtout le questionnement est sur le fond. Il y a dans « The Thing » un aspect « Reader’s Digest » : on a l’impression d’assister à un séminaire de self help américain visant l’empowerment ou simplement la sensation de feel good. De bout en bout, l’idée est martelée que même une seule personne peut changer le monde. Vision fascinante, mais est-ce que la performance génère une forme d’intelligence collective ? Ou, à défaut, incite-t-elle vraiment à l’action individuelle ? Après une première partie de 1 h 45 d’extraits vidéo et de lectures, une seconde partie propose la reconstitution de quatre procès : ces séquences sont nettement plus interactives, et c’est au gré de chaque participant d’interpréter à tour de rôle les différents protagonistes – juge, procureur, témoin, accusé… Le groupe se prend au jeu et déborde vite du temps réglementaire pour prolonger les débats sur des questions morales qui concernent tout le monde. Mais, à force de répétition, le dispositif tourne un peu à vide.

On apprend en fin de séance qu’un happening collectif devait être organisé en amont, dans une banque, afin de mettre en pratique dans un exemple concret la notion de disruption du système. Pour des raisons logistiques, l’événement n’a malheureusement pas pu avoir lieu. Or, c’est précisément cela que l’on attendrait d’un tel atelier : la résonance hors du monde des idées et de la représentation, et l’action sur le réel. Sans doute faut-il assister aux quatre sessions pour prendre pleinement la mesure de l’impact que peut avoir « The Thing » sur ses participants. En l’état, le projet, aussi original et enthousiasmant soit-il, reste au stade du commentaire.