Peut-être aurait-il fallu que Dorian Rossel s’affirme et incarne son geste jusqu’à prendre l’audace de renommer l’oeuvre monstre de François Truffaut. Et alors peut-être aurait-il fallu l’appeler ainsi : La mécanique du coeur. Car c’est ici le risque et l’avantage du geste : en inscrivant sur les affiches ces trois mots, « Le dernier métro » du metteur en scène s’inscrit dans une dynamique double d’appropriation de l’oeuvre et de délaissement de celle-ci au profit d’un public qui ne souhaiterait finalement rien plus que de voir sur les planches une insipide transposition mot à mot de ce film aux dix César, lui laissant la primeur de questionnements aussi absurdes qu’oublieux sur la présence des fantômes de Catherine Deneuve et Gérard Depardieu sur les planches.
Absurdes et oublieux, oui, tant la proposition de Dorian Rossel est ailleurs, non dans l’imitation mais dans la mimesis au sens où sa cohérence ne tient pas à sa fidélité envers l’oeuvre du cinéaste de la nouvelle vague, mais bien plutôt en la vérité des sentiments qu’il y attache. Ainsi qu’Auerbach le considère au sujet de la littérature, il faut aborder le geste de ce metteur en scène au travers des détails qui font de la proposition, non seulement une croyance en la beauté du film de Truffaut, mais surtout une déclaration d’amour en la capacité d’un certain théâtre à être le médium de la joie quand elle manque au quotidien. Partant de là, à ceux qui se demandent où sont Deneuve et Depardieu, il conviendra de répondre : partout, nulle part.
Partout dans l’idée, tant ce qui fait l’essence de ces personnages est respecté : la dualité de Marion Steiner d’un côté, quand elle est interprétée par Julie-Kazuko Rahir et Delphine Lanza sur le plateau, et tant de l’autre côté, le souffle de vie inépuisable de Bernard Granger émane à chaque instant de la diction et de la gestuelle de Fabien Coquil. Mais partout aussi et surtout dans les faits, car il ne faut pas oublier que plus que dans le cinéma, la démarche de François Truffaut s’inscrivait dans un désir de mise en lumière de la puissance du théâtre et de ses mots. Un désir que l’on retrouve ici d’abord alors qu’Erik Gerken fait dire à la peau de Lucas Steiner qu’il habite, sa croyance en la nécessité de n’écouter que la résonance du théâtre quand le monde extérieur ne permet pas de vivre du bonheur que l’on souhaite. Un désir que l’on retrouve aussi ensuite dans la façon qu’à Dorian Rossel de faire son théâtre : un théâtre de troupe, quand la distribution regroupe quinze comédiens, et un théâtre de vie surtout, quand la scénographie n’est faite que de quelques éléments qui sans cessent rappellent qu’à l’origine de l’art étaient les tréteaux. Les tréteaux, oui, et non la caméra. Des comédiens, oui, et non des stars de cinéma. Autrement dit tout ce qui fait la mécanique du théâtre. Et celle du coeur de Dorian Rossel.