© Pierre Planchenault

Même au théâtre, une heure de séquestration est rarement une partie de plaisir, surtout quand l’oppression n’émane pas de ce qui est évoqué mais des procédés très douteux qui permettent de le faire. Après être passé lui-aussi par la petite porte, le public est confiné en équerre dans une pièce forcément terreuse et glauque, agrémentée pour son plus grand frisson de trois néons maladifs. C’est dans cette arène hyperréaliste que va se rejouer l’enfermement historique de la jeune Solveig et sa confrontation ambiguë avec Franz, comprimée dans le « monceau de souvenirs » dramatique qu’édifie l’auteure, Solenn Denis. 

« Nous nous sentons proche d’un théâtre total et performatif comme peuvent le faire Angélica Lidell, Vincent Macaigne et Rodrigo Garcia, où l’engagement physique est intense » :  ces notes d’intention léguées par le Collectif Denisyak interrogent à biens des égards. Rappeler que la grande « Liddell » mérite deux « d » est parfaitement inutile, mais s’attarder sur la motivation de ce lignage esthétique (qu’on espère plus proche de l’hommage) est peut-être plus fécond. « SStockholm » n’a effectivement pas grand chose en commun avec ce que proposent ces trois artistes, le spectacle rejoignant davantage un In-Yer-Face Theatre immersif et intimiste. La radicalité physique attendue, et nécessaire à la cohérence esthétique et éthique d’un tel théâtre, s’émousse malheureusement dans l’incarnation inégale des deux comédiens principaux, qui délayent trop souvent leur belle intensité dans un sirop déclamatoire truffé de silences mécaniques. La partition confondante de Solenn Denis multiplie quant à elle les morceaux de bravoure héroï-comiques (son ode trop cuite à la pizza aurait peut-être dû être traduite en italien) et semble reléguer la révolte féminine à des envolées hystériques plus tellement progressistes, explicitement théorisées par une boustifaille introspective pseudo-lacanienne. 

Le texte, badigeonné de dérivations enfantines et d’envolées contemplatives, semble résoudre l’humanisation du scandale par une poétisation de ce dernier, et c’est bien là son principal problème. En confondant éthique et esthétique, le spectacle produit un malaise coupable, tant la représentation des violences sexuelles et verbales, malgré toutes ses intentions édifiantes, ne peuvent que paraître complaisantes, gratuites, et intolérables artistiquement. Si « Sstockholm » fait plus que décevoir, après le magnifique « Sandre » que tourne encore le collectif, c’est surtout qu’en décontextualisant complètement son fait-divers il ne déclenche dans le public que commentaires affables ou rejets, et oublie d’ouvrir un véritable espace analytique.  Malgré lui, le spectacle rend davantage justice à Christine Angot qui dénonçait la fictionnalisation misérabiliste du viol, toute en « canapés déchirés » et « tapisseries décollées », qu’à la politique de la perception d’une Angélica Liddell, dont les images de séquestration ne sont pour leur part jamais séquestrées.