© Christophe Raynaud de Lage

Dans « Elle brûle », que Caroline Guiela Nguyen créait en 2013, le fantastique narguait l’hyperréalisme, même si ses interventions un peu trop volontaristes échouaient à le tordre réellement. Le plateau cosmique de cette nouvelle production, dialectiquement intitulée « Fraternité, conte fantastique », signe la consécration économique de la compagnie « Les Hommes approximatifs » (après le succès – mérité – de « Saigon »), mais pas sa consécration artistique. Il ne faut pas chercher plus loin que dans son titre pour atteindre le « cœur » (mot d’ordre du spectacle) du problème.

La confusion lexicale entre le « fantastique » et la « science-fiction », genre auquel s’apparente de toute évidence « Fraternité », nous interroge pendant toute la représentation. Le fantastique désigne une distorsion, une suspension, une dissolution plus ou moins visible et tenace de la réalité apparente. La « science fiction » pour sa part n’est pas l’endroit d’une réalité altérée mais d’une réalité autre, solidement offerte au regard. Dans la « science fiction », contrairement au fantastique, les degrés de réalité ne flottent pas, l’univers diégétique est même très stable, parfaitement référencé et symbolisé, pour mieux désigner obliquement le nôtre. Le cosmos de Caroline Guiela Nguyen quant à lui était encore, en ce jour de première, plutôt de l’ordre de la sporade d’idées. Si la metteure en scène s’empare d’un genre pour un autre, c’est sans doute parce qu’elle utilise très sincèrement la science-fiction comme une incartade fantastique. C’est-à-dire comme une déréalisation épisodique d’une fable sociale aux fondements documentaires (celle que « Saigon » maîtrisait), mais jamais comme un espace de décentrement à l’imaginaire exigent, critique et politique, tendu vers notre présent. 

Saupoudrée sur les larmes, la SF trop lâche de Guiela Nguyen contient pourtant quelques belles idées (comme l’analogie entre les cœurs et les astres) qui ne sont jamais étayées et transformées en opérations théâtrales. Tous les événements technologiques (comme le sacrifice des souvenirs, qui devrait changer les cœurs) ne font jamais événement dans le drame. De fait, le parcours des acteur-rice-s, au jeu affecté qui oscille systématiquement entre complicité et colère, n’est pas sensible car il manque d’inflexions. La faute sans doute aussi à une théâtralité qui détruit son espace de vie en privilégiant la force émotive des médiums, et notamment le sirop musical. Par ailleurs, le spectacle fonctionne trop par tableaux, par images cotonneuses et cotilloneuses pour que ce centre de soins et de consolations soit réellement habité. Seules règnent les lumières de Jérémie Papin, dont les couleurs non réalistes possèdent leur propre langage, leur loi symbolique. Elles sont la seule vraie « science-fiction » de ce spectacle qui, en regardant vers d’autres genres que son mélodrame de cœur, a trop d’argent pour les larmes et peu de beurre pour l’esprit.