© Mariano Barrientos

Dans la mouvance du grand « Rabalaïre » d’Alain Guiraudie (paru aussi chez P.O.L.), « Médecine générale » d’Olivier Cadiot est de ces romans-mausolées offerts à ces communautés alternatives aussi vite apparues que disparues, aussi drolatiques que profondes, surgies parmi les ruines relationnelles de notre contemporain.

La communauté est réduite ici à une trinité d’endeuillé.e.s – Closure, Pierre et Mathilde – qui formulent depuis la Villa Cordélia de cette dernière (Valéria Dashwood) le désir de forger une abbaye mais aussi celle de “faire du théâtre“. Il n’en fallait pas moins pour que le compagnonnage Cadiot-Lagarde poursuive sa fructueuse histoire. Les romans de l’un, soupçonnant et ignorant en même temps la scène, réveillent et déplacent toujours la science théâtrale du second. Aussi chic que désarçonnant, le dispositif hybridant musique, théâtre et récit que compose de nouveau Lagarde trouve un seuil mémorable : les trois corps qui poussent au départ le lourd rideau gris n’ont pas grand chose de théâtral. Ils ont plutôt cette qualité de présence neutre et solennelle de musicien.ne.s venu.e.s renflouer leur tristesse dans le flux sublimant et transpersonnel de la musique. Autour d’un piano qui se souvient de leurs cercueils, la messe sans lyrisme de Closure (Laurent Poitrenaux), dévouée au corps du frère traîné sur l’autoroute, saute alors sans détour à notre imaginaire.

Car la qualité d’adaptation de Ludovic Lagarde réside à nouveau dans sa capacité à transmuer la fatrasie cadiotienne. Loin de s’incliner devant sa déraison, loin d’en faire le prétexte à une bizarrerie spectaculaire, loin de capitaliser sur son inventivité langagière, le metteur en scène réussit – comme c’était le cas avec les formes infiniment suggestives et accueillantes du « Colonel des Zouaves » ou d’« Un mage en été » – à mettre le geste théâtral sur le même plan que l’ouvrage littéraire et d’en décupler la force d’expérience. Le spectacle comme le livre deviennent effectivement des excitateurs d’imaginaires, lecteur.rice.s comme spectateur.rice.s semblant devenir, par la place constante que le dispositif leur réserve, les co-créateur.rice.s du Nouveau Monde que Closure se plait à programmer.

La seconde partie du spectacle, moins épique que dramatique, moins diffractée théâtralement que resserrée autour du temps réel de cette vie communautaire – un crépuscule où le fascinant Closure trahit, revers attendu de l’utopie, son autoritarisme – subit ironiquement un revers esthétique : la cérébralité l’emporte sur le sensualisme, tandis que le texte et l’image scénique semblent être davantage articulés qu’hybridés. Sans doute est-ce l’extrême contraction du long texte de Cadiot qui empêche alors de faire exister pleinement les ramifications nécessaires à l’intelligibilité du drame des trois protagonistes. Cette « médecine générale », parabole d’une résistance à un contemporain dont chacun.e est toujours libre d’en diagnostiquer les symptômes, n’en demeure pas moins un geste puissamment indéterminé, attestant un déplacement audacieux et opérant du théâtre par la littérature qui est suffisamment rare pour être salué.