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Le fond de scène diffuse une lumière aux tonalités changeantes, un ciel tourmenté, révélant un plateau nu. S’en détache la silhouette tenue d’une reine, reine d’Ecosse, reine du cinéma et théâtre français, Isabelle Huppert en Mary Stuart.

Elle restera longtemps une silhouette noire, avançant lentement vers le bord plateau, comme le retour de Mary Stuart de la France vers l’Ecosse à la mort de son mari, le roi de France. Ou comme le retour de l’actrice française sur la scène du Barbican de Londres. Le public est tenu en haleine par l’attente de l’apparition, le visage de l’icône qui, à son dévoilement, semble émerger des livres d’histoire ou des films cultes avec cette aura surnaturelle qu’on ne connait qu’aux fantômes et aux vedettes. Avec son teint laiteux et sa chevelure rousse, on ne saurait dire si Isabelle Huppert joue Mary Stuart ou l’inverse. “Ils adorent leur reine. Je ne suis pas réelle. Je suis une ombre vaine. Mon futur est la mort vivante”, déclame l’actrice.

Le texte, amalgamé par Darryl Pinckney, est issu du testament et des lettres de Mary. Adulée et traitée de putain, la souveraine du XVIe siècle est-ce qu’on fait de plus proche d’une star pendant la Renaissance britannique. Ballotée, utilisée, isolée, son destin est fait d’intrigues à ravir un tabloïd. Isabelle Huppert fait partie du cercle fermé de la famille Wilson, le metteur en scène ayant son chapelet d’acteur.rices muses accoutumé.es à ses méthodes et à son esthétique, comprenant notamment Willem Dafoe et Tom Waits. Elle avait joué dans son “Quartett” en 2006 puis “Phèdre” en 2016.

Le spectacle est un seul en scène – à une apparition près -, un monologue en logorrhée s’entame et ne s’arrête qu’après une heure et demi de spectacle. Le texte est dense et rude, à l’image de l’existence de la monarque, tantôt incarné, tantôt dit à une vitesse à la limite de l’audible – comme un exercice de diction dont les acteurs sont coutumiers – ou encore pour manifester la dissociation entre la reine et ses dires. En effet, les fameuses lettres de Mary Stuart, interceptées par la couronne d’Angleterre et l’incriminant dans l’assassinat de son mari et ses velléités envers le trône britannique sont celles-là même qui signeront son arrêt de mort. Un texte meurtrier donc, qui la mènera vers l’échafaud. Or, les historiens ne détermineront jamais l’authenticité de ces lettres, qui auraient pu être rédigées à l’initiative d’Elisabeth, alors reine d’Angleterre, afin d’éliminer la menace que Mary représente pour sa propre légitimité. D’où la beauté ironique du titre “Mary Said What She Said” : il s’agit donc d’un texte de théâtre fondé sur un texte historique qui pourrait lui-même être une fiction, avec une intéressante dissociation entre l’actrice et son texte. Un parole prêtée, d’une part, interprétée, de l’autre.

Si le plateau est nu, il est hautement symbolique tantôt billot, le rideau tombant lourdement comme le glaive de sa décapitation, tantôt boite en argent dans lesquelles les lettres supposées de Mary seront trouvées – Isabelle Huppert les fait tomber sous le plateau par une trappe -, tantôt Royaume lorsqu’elle le arpente, tantôt prison lorsqu’elle y fait les cent pas. La magie du spectacle vient en partie de l’évidence esthétique de la rencontre entre le théâtre de Bob Wilson et la Grande-Bretagne de l’époque des Tudor. Le fard blanc, les grands front dégagés, les sourcils rehaussés et les costumes aux coupes statiques extravagantes : on est complètement dans un vocabulaire wilsonnien sans trahir la justesse historique.

La méthode de travail du metteur en scène et l’objet du spectacle forment un mariage heureux. Bob Wilson donne à ses acteurs une sorte de coquille, des mouvements et déplacements précis, et leur laisse une liberté entière avec le texte. Cela donne un théâtre corseté, qui épouse les formes d’un sujet de cour à merveille. Isabelle Huppert contrainte par des mouvements succincts et précis dans un costume restrictif est à l’image de Mary Stuart engoncée dans ses costumes, son statut et emprisonnée pendant 19 ans. Le texte pour l’une comme pour l’autre est leur seul pouvoir, tout en ne leur appartenant pas.