Kazuo Revival

© Maria Baoli

© Maria Baoli

Il y a si peu d’espace entre l’hommage et l’imitation, entre l’inspiration et le plagiat. Kawaguchi se détourne habilement de tout cela : il redonne à vivre une icône, il ranime la légende, il rend éternel le mythe.

En dupliquant à l’identique certaines des dernières pièces du danseur-chorégraphe Kazuo Ohno – l’un des fondateurs du butô, artiste référence de la danse moderne japonaise –, Takao Kawaguchi s’efface derrière la figure du maître. Il reproduit chaque geste, expression, costume de certains passages des ultimes œuvres d’Ohno filmées entre 1977 et 1985. Avec franchise, sans tenter de cacher son geste de copiste : un vestiaire où il se travestit en Ohno côté cour ; un écran où sont projetés titre et année du film côté jardin. La bande-son est directement celle des films : on y entend les spectateurs tousser, les pas de Kazuo Ohno frapper le sol, les applaudissements… De l’intention, rien n’est caché dans cette imitation parfaite. Rien n’est volé. Tout est parfaitement avoué.

Qu’apporte donc ce curieux geste artistique ? Alors même qu’existent ces enregistrements vidéo, donnant à voir Kazuo Ohno dans toute son immense expressivité, avec le parcours, la longévité et le talent qu’on lui connaît ? À quoi rime donc l’idée de reproduire dans le détail le travail d’un autre ? Quelle appropriation ? Un geste de copiste clivant : il en faut peu pour que d’aucuns reprochent à Kawaguchi de s’attirer l’admiration facile, en empruntant les traces déjà parfaitement dorées d’une icône de la danse moderne.

En réalité, Kawaguchi n’écrit pas, à travers ce catalogue de masterpieces, sa seule admiration. Il transcende aussi le simple hommage. En explorant l’incarnation (jusqu’à la reproduction minutieuse des saluts), il imprègne son spectacle d’allures de revival : une manière de rendre éternelle la vivacité du butô d’Ohno, identique mais factice, non pas renouvelée mais réincarnée. Un prolongement en chair et en os, une possibilité offerte d’assister (le mensonge est admis, délicieusement ignoré) à une représentation vivante d’un mort : un voyage dans le temps, une faille spatio-temporelle, renforcée par le contraste des premières minutes, décalées et étranges, empreintes d’une forte contemporanéité. Il y a dans ce spectacle un air de procession mystique : on la suit.