Pétard mouillé magnifique

14 juillet

Ça commence par une lettre d’avertissement. Le comédien, pour pouvoir jouer, est contraint de lire une lettre du directeur du théâtre stipulant que le spectacle ne correspond en rien à ce qu’il avait programmé au départ. À partir de là, Fabrice Adde déroule un fil narratif aussi décousu que désopilant, expliquant tour à tour la genèse de son spectacle, les revirements dans la conception de son projet, son parcours du combattant pour le monter, la construction in situ de son personnage, les aléas de l’exploitation jusqu’à la remontée à son histoire personnelle et sa vocation de comédien.

Chaque séquence est une tentative ratée de rattraper cette représentation maudite par le mot initial du directeur. Clown petit à l’extérieur, mais si grand à l’intérieur, le comédien entre et sort du jeu de façon virtuose, incapable de tenir son rôle sans s’interrompre pour nous mettre dans la confidence d’une dramaturgie de la lose et du epic fail permanent. Au cœur de ces quasi-numéros, sans qu’on puisse dire d’où ils étaient venus, surgissent des extraits de grands textes (Calderon, Claudel…) interprétés de façon magistrale. Fulgurances poétiques, moments de bravoure qui nous laissent apparaître le fait que Fabrice Adde est loin d’être le raté auquel il veut nous faire croire, mais que lui et son camarade coauteur et metteur en scène Olivier Lopez sont bien de fins stratèges du rire et de formidables joueurs. À mesure qu’avance le spectacle, les pièces du puzzle trouvent leur place et composent une image plus complexe, plus touchante, plus emprunte de poésie mélancolique, comme cette promenade avec un radiateur en guise d’animal de compagnie. Ce qui se lit entre les lignes et les gags, c’est un vrai témoignage sur la difficulté de créer une œuvre, face aux casse-tête des modes de production, au formatage des horizons d’attente et, de façon plus intime, à la peur de décevoir. Ce n’est pas un hasard si Fabrice, en triturant son projet dans tous les sens pour justifier de le créer, finit par l’assimiler à du coaching en prise de parole dans les entreprises. Sous cette boutade se cache un aveu plus profond, celui de tout artiste dramatique : ce besoin viscéral de se tenir devant les autres et de représenter le monde.