Poétique de l’ordinaire

Ordinary People

© Christophe Raynaud de Lage

Le théâtre politique est mort, vive le théâtre politique ! Pour régler son compte au théâtre populiste, démago, usant et abusant d’un civisme dramaturgique mièvre et manichéen, voici qu’émerge une poétique de l’ordinaire.

Ce n’est pas tout à fait un théâtre de l’intime. Les témoignages épars d’hommes et de femmes vivant sous le communisme à la mode chinoise ou tchèque représentent une porte d’entrée vers autre chose ; les prémices d’un voyage vers les cimes du Beau, qui recueille la parole proférée avec dignité tout en mettant à distance toute tentative de traitement documentaire banal. Pas de dialogisme affecté : ici, l’effet de discursivité est un acte de résistance en soi. L’assemblage des médiums projette un grand ballet des arts au sein duquel virevoltent les corps et leurs histoires, habilement articulées les unes aux autres grâce à la magie d’un tuilage sensible. « Ordinary People », les pieds profondément ancrés dans la terre et la tête dans les nuages, dissémine des fragments de destin tout en leur offrant un surréaliste écrin d’expression.

Dans ce grand écart, impossible pour le spectateur occidental de rester de marbre : le quotidien qu’on lui conte est celui d’un espace-temps qu’il a appris à tenir à la marge – voire contre lequel il s’est construit. La réintroduction de celui-ci a tout de proprement extra-ordinaire ; voilà où réside l’intelligence de ce spectacle protéiforme à la dramaturgie novatrice, formidablement agencé par Wen Hui et Jana Svobodová. Refusant toute étiquette politicarde – sans jamais tomber pour autant dans le mou d’un centrisme politiquement correct –, l’œuvre conçoit dans la nature même du geste théâtral l’opportunité de dessiner un pas de côté salvateur. Les artistes projettent en nous un regard pénétrant, sondant les limites de leur liberté autant que de la nôtre.