Du menhir à l’architecture, il n’y a qu’un pas

Walkscapes : la marche comme pratique esthétique

Profitons de la réédition chez Babel du mythique « Walkscapes » de l’architecte Francesco Careri pour divaguer avec lui et prendre le temps de considérer nos villes – et les espaces vides qui les innervent – sous un jour plus artistique. Car comme l’affirme Walter Benjamin dans le “Livre des passages” en 1929 « Ne pas trouver son chemin dans une ville, ça ne signifie pas grand chose. Mais s’égarer dans une ville comme on s’égare dans une forêt demande toute une éducation. » Voilà le type d’exergue que l’on picore en marge de l’essai de Careri ; les fonds de pages grisés entrelacés permettent de choisir d’en remettre la lecture ou de les découvrir au fil de leurs apparitions. Ce gisement de sources, textes et autres citations vient nourrir et élargir les horizons du propos de l’auteur et donne à l’ouvrage un supplément d’âme. Nous y croisons par exemple le concept d’ « hodologie » du psychologue expérimental Kurt Lewin qui en use pour définir « l’espace vécu » où se situe un individu dans son environnement et s’oppose donc à l’espace géographique mesurable de la carte : où comment privilégier le cheminement au chemin. Car c’est bien l’inconscient de la ville que cherche à nous faire découvrir l’auteur ; l’érection des menhirs, les déambulations dadaïstes, les dessins des cartes de Guy Debord, de Constant ou les situationnistes qui trouvent un moyen ludique de s’approprier le territoire ;  la ville est un jeu « où expérimenter des comportements alternatifs, où perdre le temps utile pour le transformer en temps ludico-contructif ». L’objectif de Careri est avant tout de réfuter « l’absurdité des convictions communes selon lesquelles l’architecture serait une invention liée au monde sédentaire et non pas au monde nomade » et à la suite des surréalistes d’affirmer que « l’espace urbain peut être traversé comme notre esprit et qu’on peut révéler dans la ville une réalité non visible. » C’est avec appétence que l’on traverse cet ouvrage et que l’on se laisse guider dans l’histoire de ces utopies.