© François Passerini

Les témoignages de criminels ordinaires ne manquent pas sur la scène contemporaine. Nous nous souvenons par exemple de « L’avenir dure longtemps », spectacle marquant présenté aux Doms en 2017, où l’innommable se frottait déjà à la parole architecturée et analytique de Louis Althusser. Dans « A vie », Sébastien Bournac (directeur du Théâtre Sorano à Toulouse) renouvelle le genre de la confession noire grâce à un dispositif scénique passionnant qui inaugure une nouvelle politique de l’adresse.

La singularité du parti-pris est d’autant plus sensible dans la toute petite salle du Théâtre du Train Bleu. Cinq écrans sont disposés en labyrinthe, formant à la fois un panoptique voyeur et un kaléidoscope qui éparpille l’image. La parole de Peter Jörnschmidt est transmise singulièrement par le remarquable François-Xavier Borrel, qui tord son apparente rationnalité, sa logique implacable et extériorisante par une intériorité constante, un trouble secret qui flotte sous les mots. Le dispositif scénographique creuse davantage de suspensions. D’abord par le contraste entre ce visage démultiplié qui nous regarde, comme si son impassibilité inébranlable souhaitait conquérir le visible, et ce corps en retrait qui ne s’adresse plus à personne. Ainsi, Sébastien Bournac coupe court aux modalités habituelles du témoignage sur un plateau, donnant à percevoir cette parole hors de l’empathie problématique que suppose un certain théâtre intime.

Par ailleurs, ce corps qui s’abrite creuse un écart insondable entre le réel sans mots qu’il renferme et le simulacre sporadique des images, béance grâce à laquelle un trouble saisissant émerge. La création sonore et vidéographique de Loïc Célestin ouvre elle-aussi un autre régime d’intelligibilité. Elle sème une ambiguïté sur la temporalité du spectacle que nous regardons : le témoignage est-il pré-enregistré (car les dates qui s’affichant sur les écrans semblent prévues d’avance) ou complètement performatif ? Ses silences et ses tremblements épisodiques  menacent effectivement le dispositif. Dès que la parole redevient frontale, le corps disparaît immédiatement dans les limbes du plateau. Les images grésillantes et grises, loin d’illustrer et d’exhiber, font chuter elles-aussi le sens. Ainsi, Sébastien Bournac parvient à refaire du théâtre le lieu d’un froissement de la parole. Et c’est bien pour cela que son esthétique est politique, car dans notre société d’épanchement de l’intime et de fascination voyeuriste pour la parole criminelle, elle redonne au témoignage une limpidité inexpliquée.