O Samba do Crioulo Doido (c) Gil Grossi

La Brixton House, nouveau théâtre du sud de Londres, entame sa première saison avec un partenariat prometteur avec le festival de danse contemporaine Dance Umbrella. Une programmation soignée avec trois petites formes, trois solo, trois cool kids de la scène contemporaine internationale.

Shapeshifting de Linda Hayford / Cie INside Out

La soirée s’ouvre sur le premier solo de la chorégraphe rennaise Linda Hayward. Magnifique de précision et d’étrangeté, la danseuse style-drope sans compter : popping, funk, hype, locking, new-style, house. Elle nous rappelle d’une certaine manière que l’histoire du mouvement chorégraphié avance en parallèle de l’histoire des corps. Le corps du danseur constamment traversé d’influences, produit un savant fondu entre ses aptitudes, sa perception de ces mouvements et l’addition de ses références. De même en est-il des corps et de leurs expériences. On se dit alors que la danse est l’histoire racontée de nos corps ballottés, de nos acculturations incessantes. Le corps de Linda Hayford, en incarnant une histoire du mouvement – celle notamment des danses urbaines – semble par extension les incarner toutes. Chacun de ses mouvements transpire une époque, une idée, un mot, une lutte, un regret, un échec, un frisson, un mensonge.

O Samba do Crioulo Doido de Luiz de Abreu and Calixto Neto

Luiz de Abreu, chorégraphe-chercheur sévissant à Rio de Janeiro depuis les années 1960 jusqu’à ce qu’il perde la vue, traque vers l’éternel les imaginaires et stéréotypes autour du corps noir. Cette pièce est déjà entrée dans l’histoire de la danse : l’incroyable Calixto Neto, que l’on voit partout – au CND pour Panorama 2020, invité par Lia Rodrigues au Kunstenfestivaldesarts et au Festival d’automne en 2021-  s’est vu transmettre le solo par Luiz de Abreu himself. “Au marché, la viande la moins chère est noire” répète une voix. Le danseur est nu juché sur des bottes argentées à haut talons et plateformes – comme une métonymie de la hauteur amusée qu’ il prend sur la violence de son sujet. Hyper-sexualisation, objectivation, marchandisation, toutes ces notions le danseur les prend et les danse sur un rythme samba. Son rapport à son objet, le corps noir dans la société brésilienne est traduit dans son rapport au quasi seul objet présent au plateau, un drapeau brésilien. Il s’ en revêt, s’y camoufle pour ne dévoiler son corps que par morceau – bout de viande -, se l’enfonce dans le derrière pour s’en faire une traîne. Si sombre. Si drôle. Dans la manière de pousser le mouvement à l’excès ou d’ accessoiriser son visage, il nous rappelle le travail d’une autre Brésilienne, Marlene Monteiro Freitas. On prend une douce gifle d’une vingtaine de minutes sur version bossa nova de l'”Ave Maria”.

BABAE de Joy Alpuerto Ritter

Assez fidèlement inspiré de la “Witch Dance” de la fondatrice et légendaire Mary Wigman, la danseuse et chorégraphe Joy Alpuerto Ritter revisite le solo invoquant ses propres démons. L’étrangeté, Joy n’a nul besoin de la cultiver. Née à Los Angeles, élevée en Allemagne, elle apprend la danse traditionnelle philippine dans les groupes communautaires de sa propre mère. Devenue professionnelle, elle est interprète pour des grands noms comme Akram Khan mais aussi sur la tournée Michael Jackson Immortal, si elle n’est pas sur les scènes hip hop et voguing de la scène berlinoise. Vous pouvez toujours essayer de lui coller une étiquette si vous arrivez à l’attraper. Non contente de recevoir des prix en tant qu’ interprète, ses premières créations sont déjà montrées sur les grandes scènes européennes. Si quelqu’un pouvait passer après Wigman, c’était bien elle. Dans ce solo mystique, elle fait basculer sa technique de la virtuosité au mystère. Wigman était sorcière car elle échappait sans efforts aux canons chorégraphiques de son époque. Joy est sorcière car son corps semble n’avoir de limite que le bord du plateau. Ses mains parlent des langages inconnus, ses muscles vibrent sur des ondes cosmiques et invoquent des ancêtres qu’elle seule peut voir.