Il y a dans ce « Lumen texte » quelque chose d’un « Outrage au public » 2.0. Du texte de Handke à la performance sans acteur·rice·s du Collectif Impatience se rejoue la même quête d’une attention pure à la présence et à la grouillance des signes, et le même rêve d’une porosité retrouvée aux souffles et aux corps des autres assemblé·e·s. À ceci près que, cinquante ans après Handke, le règne toujours plus omnipotent des images et la différation fréquente du corps des acteur·rice·s sur les scènes contemporaines semblent induire un protocole encore plus radical pour ranimer notre attention, pour nous rendre de nouveau disponibles aux corps vulnérables et capricieux des mots. Voici alors une hétérotopie modeste qui n’a plus que la lettre projetée comme médium spectaculaire, mais qui n’entend pas moins destituer la vulgaire « prose du monde » en réimposant à nos yeux des signes ouverts, non régulés et fragiles, car promis comme les mortel·le·s interprètes à « disparaître », des signes susceptibles surtout d’être « enveloppés » par nos « pensées ».
Listes illogiques, questionnaires trop rapides, consonnes « sensuelles et sexuelles », petits coups virtuels bus grâce à la puissance du « Plop-Plop », jeux où il n’y a « que des gagnant·e·s », formules offertes comme des « grimoires » qui « protègent » : voilà quelques aventures linguistiques contenues dans cette performance pour ordinateur solitaire – celle-ci faisant, au passage, de nombreux pieds de nez au participatif de parade qu’affectionnent les formes théâtrales. « Lumen texte », comme il l’écrit un instant, possède quelque chose de l’agalma spectaculaire – cet « objet du désir qui n’est pas forcément une belle image mais qui est très séduisant par son idée ». Et ce parce qu’il réussit constamment à contredire l’âpreté de sa forme – a priori plus proche d’une installation qui paraît narquoisement incompatible avec la consommation calibrée du festival OFF. Et ce par son ludisme, son humour et son architecture inattendue. Comme le vieil « Outrage au public », ce remède pour les imaginaires contemporains est sans doute gêné par la thématisation constante de son projet, par une réflexivité qui l’empêche parfois d’opérer sur les pensées comme il le rêve. Il n’en consacre pas moins une loi formidable : les mots réellement mis en lumière sont ceux qui retrouvent le plus d’ombres.