MeToo se déploie sur scène à Taipei

Man of the Theatre

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Alors que le mouvement MeToo commémore ses cinq ans, la libération de la parole des femmes ne répond pas au même timing partout. Ainsi, à Taïwan, le premier spectacle s’emparant de cette question vient d’être mis en scène en 2023 après deux ans de réflexion et d’écoute. Dans une société qui reste très sensible au poids de la honte dans les sphères sociales, raconter un traumatisme est un acte politique inouï tant se revendiquer comme victime, a fortiori en étant une femme, relève de l’inédit. Huang Yu-Ching, jeune metteuse en scène en résidence au NTCH, a pris le temps de recueillir des témoignages auprès des abonnés du théâtre. Ces expériences sont le socle du spectacle mais n’en font pas pour autant une pièce documentaire. L’intrigue se joue en deux parties, sur deux époques. Dans la première, nous assistons à des séances de répétitions sous les yeux du metteur en scène tout puissant. La manipulation des émotions des actrices, la domination symbolique et physique font de cet homme un bourreau qui abuse de plusieurs femmes de la distribution. C’est « La Mouette » de Tchekhov qui sert de base narrative et d’appui aux drames en cours. La folie de Nina, sa passion interdite pour l’écrivain Trigorine et son amour-haine du théâtre se mêlent habilement aux liens vicieux qui se tissent avec le metteur en scène, certes un peu caricatural. Dans un deuxième temps, nous retrouvons deux des actrices quelques années plus tard. L’une a créé un groupe de parole pour les femmes victimes de traumas sexuels sans pour autant assumer son histoire. La mise en scène déploie habilement les sentiments complexes qu’elle développe à l’égard de son violeur et montre en même temps une voie de reconstruction possible. Ce théâtre-là, même s’il se montre parfois un peu réducteur dans la construction des personnages, prouve l’efficacité de la parole et donc du théâtre dans le processus de réparation des corps et des âmes. Porté au plateau par une belle galerie d’actrices, le propos résonne fortement dans l’audience taïwanaise et offre un point de départ à une parole libérée et entendue.